Interview
: Chef de la cellule Tireur Haute Précision
Interview
complète sur Challenges.fr
Comment
les tireurs d'élite du RAID font pour garder leur sang
froid
Les
tireurs d’élite du RAID font tout pour garder
leur sang-froid et savoir quand … ne pas agir ! Echange
exclusif avec le chef adjoint de la cellule "tir de haute
précision".
Vous
ne verrez pas les tireurs d’élite du RAID. Postés
de 100 à 1.500 mètres de leur cible pendant
des heures, voire des jours, ces hommes de l’ombre ont
pour mission d’observer, de renseigner, d’accompagner
les interpellations, d’intervenir sur une menace imminente
et de protéger (des convois durant des passages sensibles,
certains déplacements présidentiels ou encore
l’avancée de leur colonne d’assaut). Rares
sont leurs tirs mortels, toujours encadrés par le principe
de la légitime défense, puisque la mission de
cette section de la Police Nationale est de protéger
la vie des victimes ainsi que des forcenés qui seront
livrés à la justice, parfois au prix de leur
propre intégrité physique. Jean, chef adjoint
de la cellule "Tir de Haute Précision" (THP)
du RAID, qui intervient efficacement depuis une dizaine d’années
sans jamais tuer, nous explique pourquoi le travail d'un tireur
d'élite ne se limite pas à tirer avec précision.
Richesse
des profils et esprit d’équipe
Le parcours de Jean - démineur dans
la Légion Etrangère, îlotier puis "free-lance"
à la brigade des stupéfiants pour laquelle il
participait à l’élaboration de «
pièges destinés aux trafiquants » - rappelle
que les policiers du RAID sont avant tout des policiers, issus
d’origines diverses (BAC, PJ, CRS...). Ce métissage
est vécu comme une richesse, alliant différences
et cohérence.
Jean-Michel
Fauvergue, directeur du RAID, détaille l'importance
de cet esprit collectif pour les tireurs d’élite
:
- ils
agissent en binôme avec leur "spotter", policier
qui a pour rôle de sécuriser l’arrivée
du tireur sur un site, préparer la cible, apporter
des corrections de tir, confirmer un renseignement sensible
et remplacer le tireur si besoin
- ils constituent une véritable extension de leur équipe
avec laquelle ils font corps, comme les négociateurs.
Ils sont en relation audio et visuelle, à distance
mais toute aussi privilégiée avec leur colonne
d’assaut qu’ils informent et protègent
au fur et à mesure de leur avancée en zone d’intervention
-ils sont également le bras armé du poste de
commandement. Acceptant qu’ils ne détiennent
qu’une partie des informations, ils ont développé
une telle confiance en leur hiérarchie qu’ils
agissent en une fraction de seconde sur ordre direct.
Autonomie,
réflexion et abnégation
Connectés à l’équipe,
les snipers sont autonomes et ont la capacité de se
déplacer en zone inconnue pour se mettre en position
et quitter les lieux sans se faire repérer lorsque
la mission l’exige.
Alors qu’un opérateur (membre
d’une colonne d’assaut) réagit face à
un feu ennemi auquel il répondra, le tireur d’élite
fait preuve d’une plus grande proactivité lorsqu'il
décide d’appuyer ou non sur la détente.
Ayant le pouvoir de mettre fin à une vie autant que
la sauver, Jean souligne que « ce n’est pas anodin
pour un tireur de haute précision de faire usage de
son arme. Avec le grossissement de la lunette, le tireur visualise
une situation comme un spectateur regarde un film qu’il
peut arrêter s’il le décide ou si on lui
en donne l’ordre. L’enjeu appelle une réflexion
au delà d’une simple réaction. »
Ils sont
à même de conjuguer patience, ténacité
et abnégation pour passer plusieurs heures, jusqu'à
40, sans bouger dans le but d’accéder à
une information précieuse et ne pas se faire repérer,
en zone urbaine comme dans des lieux naturels. Jean se souvient
d’une planque où il a passé tellement
de temps immobile qu’il était physiquement incapable
de se relever seul et a dû faire appel à son
équipier.
La
stratégie de décision du tireur d’élite
Jean utilise de manière naturelle et
systématique une stratégie pour garder son sang
froid, décider quand agir, et surtout quand ne pas
agir. Les recherches sur le cerveau ont récemment découvert
que le fait d’inhiber une action est très consommateur
en énergie et nécessite une stratégie
mentale éprouvante. Pour le Chef adjoint des Tireurs
de Haute Précision, elle repose sur trois étapes
:
1.
S’informer avant et pendant l’action pour nourrir
la décision
En se mettant en place, Jean collecte un maximum
d’informations sur le déroulement de la situation
auprès de la cellule négociation et de ses collègues
opérateurs. Il continue ensuite de s’alimenter
auprès du Poste de Commandement avec lequel il reste
en liaison radio durant toute la mission. Il sait ainsi décider
en toute connaissance de cause.
2.
Se conditionner pour anticiper les actions possibles
L’expérience terrain démontre
que sans préparation, le risque d’erreur est
majeur : « Quand on est agressé, on oublie tout
ce qu’on a appris et on a des gestes réflexes.
Si on est préconditionné, on a au moins 60%
de chance de faire les bons gestes. Sans préconditionnement,
le cerveau n’a pas de réponse toute prête
et c’est à ce moment-là que l’on
risque de faire un geste inapproprié » explique-t-il.
En fonction des informations collectées, Jean simule
intérieurement les deux ou trois circonstances qui
nécessiteraient son intervention et détermine
l’acte approprié. Il décide par anticipation,
notamment en imaginant les déclencheurs visuels qui
le mettraient en action. « Dans telle situation je dois
faire cela, dans telle situation, je dois faire autre chose.
Sinon, pour le reste, quoi qu’il arrive, je ne bouge
pas », se dit-il en renforçant cet ordre mental
d’ « inaction » par la prise en compte des
conséquences sur les personnes impliquées («
si je fais cela, alors voici l’impact sur les otages,
mes collègues, le forcené »).
3.
Agir en se connectant à ses sens
En situation,
un triple déclencheur se met en place : Jean voit une
situation pré-identifiée comme critique, il
se connecte à ses sensations corporelles (sentiment
de sécurité ou « poils qui se hérissent
») puis il se demande « Suis-je en danger ? Les
autres personnes le sont-elles ? » au vu des informations
audio qu’il reçoit en temps réel. Si tous
les signaux sont au vert, il agit. Si ce n’est pas le
cas, à moins qu’il ne reçoive un ordre,
il reste en mode renseignement et n’intervient pas !
Retenir
son intervention pour protéger la vie
En intervention, la variable cruciale n’est
pas la décision, mais bien le moment d’agir ou
plus précisément le retard stratégique,
voire le choix de ne pas agir.
Dans le cadre d’une prise d’otage
en milieu pénitentiaire, un des détenus s’est
avancé dans un long couloir en tenant devant lui un
gardien lorsqu’il a vu Jean à une quarantaine
de mètres. Il a ouvert le feu dans sa direction avec
une kalachnikov, les balles sifflant au dessus de sa tête,
pendant que Jean conservait l’assaillant dans sa lunette
et le doigt sur la queue de détente. Ayant été
braqué à plusieurs reprises par le passé,
il sait que voir le « trou du canon » est un déclencheur
visuel indiquant que le tir est destiné à le
tuer. Mais cette fois-ci, ce n’était pas le cas.
Jean n’a pas eu non plus la sensation que sa vie était
visée, voire même en danger, interprétant
le geste comme un avertissement « maîtrisé
». De plus, il avait déjà estimé
que son action mettrait en danger les négociations
en cours et la vie des otages. Il n’a alors ni bougé,
ni agi. « En une fraction de secondes et parce que j’ai
été informé au préalable et pré-conditionné,
j’ai pris une décision naturelle de ne pas répondre
en rattrapant le jeu de la bossette » (ndlr : ce qui
signifie relâcher légèrement la pression
de son doigt). « Je n’ai pas appuyé jusqu’au
bout, car ce n’était pas le moment ».
La volonté d'éviter au maximum
les pertes humaines guide le moment de presser la détente
ou d’informer la colonne d’assaut que c’est
le moment d’intervenir. Par défaut, le cerveau
catégorise toutes les informations de manière
subconsciente. Dans le cadre d’une prise d’otage
familiale, un des tireurs d'élite de l’équipe
de Jean a rendu utile ce traitement cognitif en le verbalisant
: ayant porté dans sa préparation mentale un
jugement conscientisé des personnes qu’il avait
en joue (Est-ce un père, un frère, un mari ?
Quels sont ses proches présents ? Est-ce que c’est
une situation exceptionnelle ou récurrente ? Quels
sont ses antécédents ? ), il a pu estimer le
moment opportun pour intervenir : « Il a attendu, bien
que le père soit saoul, violent et menace son enfant
avec un couteau posé sur sa gorge. Il a observé
le tremblement de la main et s’est rendu compte que
la partie coupante n’était pas en contact avec
la peau. Se remémorant les conséquences d’un
tir de sa part, il a décidé d’attendre
seconde après seconde, prêt à agir le
cas échéant. Il a bien fait de ne rien faire
car tout est rentré dans l’ordre ».
Au delà de leur capacité à
atteindre avec précision leurs cibles, les tireurs
d’élite du RAID ont acquis un degré de
contrôle émotionnel et un sang-froid stratégique
qui leur permettent de peser chaque geste et de faire face
efficacement à des choix vitaux. Décider de
ne pas agir est parfois la meilleure des actions.
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