Progresser,
c'est changer d'erreur
!
Intervenant dans les cas de prise d'otages, Laurent
C. a fait partie des six négociateurs dont
dispose la France au sein du RAID. Il présente
les mécanismes de négociation et de
prise de décision dans les situations de crise
auxquelles il a participé.
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Quelles sont les situations de crise dans lesquelles
vous étiez appelés à intervenir
?
On distingue trois types de situations dans lesquelles
les négociateurs du RAID peuvent intervenir
: les cas où sont en jeu des forcenés,
les prises d'otages, et les situations de type «
fort Chabrol » où un groupe d'individus
se retranchent. Ces situations peuvent bien sûr
se combiner.
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Peut-on définir des critères
de décision, toutes situations de crise confondues
?
L'analyse des risques, la négociation et les
prises de décision sont bien sûr différentes
en fonction du type de situation dans lequel on se trouve,
par exemple la présence ou non d'otages. L'analyse
du danger est donc un premier critère. Ensuite,
on tient compte du profil de la personne avec qui on
négocie. Par exemple, les personnes atteintes
de psychopathologies graves peuvent être extrêmement
imprévisibles.
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Le négociateur agit-il
seul ou en équipe ?
Un négociateur du RAID n'agit jamais seul, mais
dans le cadre d'une équipe de 4 à 5 personnes,
sans compter toutes celles qui interviennent en appui
logistique et qui ne sont pas nécessairement
sur le terrain. Cette équipe est toujours la
même, mais les rôles tournent. En général,
elle comporte deux négociateurs : le premier
est en contact avec le « sujet » (forcené
et/ou preneur d'otage), et le second l'assiste, le conseille
sur le choix des mots, et peut remplacer le premier
en cas de problème. Dans cette équipe,
on trouve également un référent
(souvent un psychologue) qui observe le déroulement
avec du recul, et conseille « à froid »,
un superviseur qui s'assure du bon fonctionnement de
l'équipe et des moyens techniques, et un coordinateur,
responsable des relations avec le reste du dispositif.
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Peut-on définir une typologie
des stratégies de négociation ?
Non. En France, à la différence de l'école
américaine, on considère que le fait de
rentrer dans une typologie a tendance à fermer
les possibilités de choix. On identifie donc
une typologie des situations mais pas des stratégies
de négociation et de décision. Ce type
de négociation porte d'abord et avant tout sur
un facteur humain : chaque cas est une nouvelle situation
qu'il faut traiter comme tel. De plus, il est important
de garder une certaine humilité : c'est un domaine
où tout reste à construire, et où
l'on ne dispose pas de certitudes.
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Y a-t-il des principes qu'il faut
cependant respecter ?
Dans tous les cas, un principe de base doit être
suivi : le négociateur n'est pas celui qui décide.
Autrement dit, le négociateur et la personne
qui décide (du tournant que doit prendre la négociation,
de l'oppotunité d'une intervention directe, etc)
sont deux personnes distinctes : seul le négociateur
entre en contact avec le « sujet ». Et cela
est d'autant plus important dans les situations de face
à face…
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Dans ces cas de face à
face, faut-il prendre en compte des éléments
spécifiques qui influencent la négociation
?
Tout à fait. Le support média de la communication
influence la négociation. On estime que 55% du
message perçu est non verbal (comportement, regard,
attitude, etc.). Lors d'une communication téléphonique,
le négociateur doit donc se concentrer sur le
message verbal (le vocabulaire utilisé et le
moment où le mot est prononcé) et para-verbal
(voix, intonation, prosodie, silence).
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A partir de quand peut-on estimer
qu'une négociation prend un bon tournant ?
Quand le sujet manifeste une volonté de parler
plus longtemps avec le négociateur, quand il
parle d'autre chose que de la crise, ou encore lorsqu'il
envisage l'avenir, on peut estimer que la situation
commence à s'améliorer.
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Dans ces situations de crise,
la rapidité de la prise de décision est-elle
un atout ?
Le temps est un allié et non une pression. Ne
pas décider est aussi une stratégie. L'objectif
est de créer un rapport de confiance avec le
sujet. La seule urgence qu'on a est celle de sauver
la vie des otages, de nos collègues en cas d'intervention
directe, et du preneur d'otages ou du forcené
lui-même.
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Quels sont les pays qui se distinguent
par la qualité de leurs négociateurs ?
La France est tout à fait reconnue dans ce domaine,
avec un modèle qui s'est particulièrement
développé depuis 1998, et assez proche
de celui qu'on trouve en Afrique du Sud. Les Américains
et les Anglais disposent aussi d'équipes très
compétentes. Le modèle français
repose sur une adaptabilité et une souplesse
face aux différentes situations, alors que le
modèle américain repose sur des «
guide-line » plus contraignants.
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Selon vous, qu'est-ce qui caractérise
un bon négociateur ?
L'expérience est un facteur très important
: plus on négocie, mieux on négocie. Par
conséquent, reconnaître que l'on peut faire
des erreurs permet d'avancer. On a le droit de commettre
une erreur, mais faire deux fois la même erreur
est inadmissible. Dans ce domaine, progresser, c'est
changer d'erreur.
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