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La prise d'otages du palais de justice de Nantes

(19 décembre 1985)


Si le RAID n'avait que des missions de protection, il ne serait guère différent des autres unités de police de France. La création du RAID a reposé sur un concept novateur associant les meilleurs moyens techniques au professionnalisme, tout en privilégiant la dissuasion. Montrer sa force pour ne pas s'en servir ou ne s'en servir qu'en dernier recours demeure la règle. Ce principe a été clairement résumé en 1985 par Jean-Loup Reverrier, attaché de presse du cabinet du ministre de l'Intérieur M. Pierre Joxe, qui a trouvé les quatre mots clés justifiant l'action de ce service. RAID = Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion.

A unité exceptionnelle, affaires exceptionnelles. Nous sommes à quelques jours de la fin de l'année 1985. La mise en place du RAID est terminée. Mais la structure est-elle opérationnelle ? Pour le moment personne ne le sait, puisque aucune mission ne lui a encore été confiée. Les hommes terminent leur formation et commencent à se connaître, même si tous les automatismes ne sont pas encore totalement rodés.

La trêve hivernale s'annonce. Certains évoquent leurs prochaines vacances, les titres de congé sont déposés et signés. On parle de voyages au soleil, de ski, de bricolage, dans une ambiance décontractée. Comme à son habitude, Ange Mancini, le n°1, règle avec ses chefs de groupes le calendrier des permanences. Des policiers en congé quittent pour Noël les bâtiments du domaine de Bel-Air autrefois occupés par la congrégation des missions étrangères. On se souhaite de bonnes fêtes.

A la permanence, la radio diffuse les chansons et les spots de publicité habituels lorsque le programme s'interrompt pour un flash spécial : une salle d'audiences du palais de justice de Nantes vient de subir une prise d'otages. Très rapidement, la radio et la télévision s'emparent d'un événement inhabituel dans une telle enceinte.

La cour d'assises de Loire-Atlantique s'apprêtait à juger quatre individus sous les chefs d'accusation suivants : vol avec violences, association de malfaiteurs, complicité, recel, falsification de chèques et usage.

Dans le box des accusés se tiennent quatre truands déjà connus. Le plus dangereux, Georges Courtois (l'homonymie avec l'auteur s'arrête là !), trente-huit ans, une figure du milieu nantais, a déjà passé près de vingt ans derrière les barreaux. Multirécidiviste, condamné à onze reprises, c'est un professionnel spécialisé dans les braquages et les affaires de proxénétisme. Ses différents séjours en prison, il les a mis a profit pour étudier les lettres et le droit. En milieu carcéral, il a passé pour un intellectuel.

Assis à ses côtés, Patrick Thiolet, vingt-quatre ans, un " jeune ", qui de 1978 à 1985 n'a presque connu que la prison. Les deux autres accusés sont leurs amies. Elles ne comparaissent que pour complicité. Les inculpés sont jugés pour avoir braqué la banque de Sucé-sur-Erdre, petit village de la Loire-Atlantique. Ce hold-up rapide s'est déroulé sans violence et n'a rapporté qu'un très faible butin.

Donc rien d'extraordinaire dans un procès comme la justice en connaît plusieurs centaines par an. Le verdict ne doit pas dépasser quelques lignes dans les quotidiens nationaux et une ou deux pages dans les journaux locaux.

Dans ce palais de justice d'un autre temps, en plein centre ville, entre boutiques et ruelles, commence soudain, à la surprise de tous, une mauvaise pièce de théâtre surréaliste dans laquelle les rôles sont brutalement inversés. Le principal accusé se transforme en un président et un procureur, se mettant à humilier magistrats et jurés. La loi, les règles et les institutions républicaines sont bafouées. Une situation qui serait ubuesque si des vies humaines n'étaient pas menacées. Que s'est-il donc passé, ce 19 décembre, pour en arriver là ?

Le procès a commencé normalement. Dans la salle, le président Dominique Bailhache dirige les débats, assisté de MM. Dior et Bureau. Les jurés se tiennent autour du président. Courtois est défendu par Me Taupier. Quant à l'avocat général, M. Philippe Varin, il requiert au nom de la société. La greffière consigne les paroles du président. L'assistance est composée de journalistes locaux dont celui de Ouest-France, d'étudiants en droit, de quelques représentants de la société bancaire attaquée et d'un public nombreux composé d'habitués et de curieux. La lecture des chefs d'accusation est terminée et le président se prépare à étudier la personnalité des inculpés.

Depuis quelques minutes, Courtois semble moins attentif. Il devient nerveux et paraît étranger aux débats, comme plongé dans ses pensées. Son regard va rapidement de la porte d'entrée aux fenêtres. Il tripote sa montre. Il semble attendre, mais quoi ?

La réponse arrive brutalement. Un bruit sourd dans le hall du palais, des cris montent du couloir. Il est 10 h 30. Abdelkarim Khalki vient de franchir les portes de l'enceinte judiciaire. Cet homme d'origine marocaine, né à Fez au début des années 50, séjourne en France depuis 1974. Connu des services de police, il a déjà fait l'objet de plusieurs condamnations pour vols à main armée. Il garde de ses passages en prison de solides amitiés. A l'occasion de l'un d'eux, il fait la connaissance de Courtois avec lequel il partage la cellule.

Au moment de passer à la fouille de sécurité, dans la salle des pas perdus, Khalki brandit une grenade et un revolver qu'il tenait cachés sous son imperméable. Aussitôt il place le canon de son arme contre le cou du sous-brigadier de faction et lui ordonne de le conduire dans la salle d'assises, en prenant son corps pour bouclier. Deux détonations assourdissantes annoncent son entrée et plongent la salle dans l'angoisse et la consternation.

Une grenade dégoupillée à la main, Khalki se dirige sans hésiter vers le banc des accusés et tend un revolver à Courtois. Surpris par cette arrivée, les gardiens de la paix n'ont pas le temps de réagir et se retrouve désarmés.

Courtois leur intime l'ordre de quitter la salle le plus rapidement possible. Il se retourne vers l'assistance et hurle : " C'est une prise d'otages ! Tout le monde reste tranquille ! " Il pointe ses armes en menaçant le public pour montrer qu'il ne plaisante pas, et vocifère des injures. Les deux femmes amies et complices quittent la salle. Courtois n'a pas prévu de les associer à son plan. Elles sont immédiatement reconduites à la maison d'arrêt de Nantes.
Après quelques secondes de flottement, une chape de plomb semble tomber sur la cour d'assises. Tout le monde reste à sa place. Les journalistes se retrouvent au cœur de l'événement. Le scoop vécu de l'intérieur !

Courtois, Thiolet et Khalki contrôlent les mouvements de la salle. Courtois prend naturellement le commandement, que les deux autres membres ne lui contestent pas. Sur le banc des accusés, Khalki dépose le matériel qu'il a apporté avec lui. Il s'est muni de chaînes, de plusieurs paires de menottes et d'un poste radio. Courtois ne cache plus son excitation, proche de la jubilation. Il vient d'acquérir le pouvoir de vie et de mort sur les juges. Rien ne fera échouer son plan, il est le meilleur !

Lucide, il se rend vite compte qu'il ne peut gérer un si grand nombre d'otages. Il décide alors de faire sortir une partie du public pour ne garder que les juges, les jurés, la greffière, les journalistes et les étudiants en droit, soit au total une trentaine de personnes. Après avoir obligé ses otages à se regrouper dans les premiers rangs de la salle, il se lance dans une diatribe contre la société et ses représentants. Son discours accuse tour à tour les juges professionnels et les jurés de se prêter au jeu d'une justice répressive. Pointant son arme sur le président Bailhache et sur l'unique témoin convoqué, il s'écrie : " Tu sais ce que ça fait, une balle de 357 dans la tête ? Boum et plus rien ! "

Courtois réclame un car pour lui permettre de s'enfuir. Il veut que ce véhicule soit conduit par un de ses copains, un dénommé Christian. Il exige également la présence d'une équipe de FR3 Nantes pour expliquer son geste devant les caméras. Pour lui, ce passage à la télévision est important. La presse audiovisuelle représente son sauf-conduit vers la liberté. Il pense qu'après une diffusion de son interview, il ne risquera plus d'être tué par la police.

Pendant les quelques minutes du reportage, dirigé par Bernard Dussolle, rédacteur en chef de la station régionale, il se livre à un jeu de rôle. Il tente de justifier son action par un discours tantôt philosophique, tantôt révolutionnaire. Il est prêt à défendre les opprimés pour montrer sa fidélité aux idées de Khalki. En effet, ce dernier revendique son appartenance à un mouvement de libération de la Palestine. En fait, l'amphigouri de Courtois reflète une personnalité victime de troubles du comportement.

Courtois agite son arme de fort calibre et répète sa détermination à aller jusqu'au bout. Il émaille son discours de formules à l'emporte-pièce comme : " La sortie va être chaude ! Nous partons ou nous mourons. " Il menace même le témoin de lui fracasser le genou d'une balle pour que la prochaine fois, si l'envie lui reste, il vienne déposer dans une chaise roulante.

Le côté sensationnel de cette prise d'otages n'échappe pas aux médias. Dès la réception de la première dépêche de l'Agence France Presse sur les téléscripteurs des rédactions, les grandes chaînes de télévision nationales et internationales envoient des équipes sur les lieux.

A l'extérieur, les autorités s'organisent. L'alerte ayant été donnée, les hommes du GIPN de Rennes arrivent très rapidement sur les lieux. Les tireurs d'élite prennent possession du site : les points hauts, les portes et les fenêtres sont placés sous surveillance. Un filtrage sévère des forces de l'ordre s'opère aux alentours. Toutes les rues sont bouclées. Le palais de justice est en état de siège. Me Michel Taupier, défenseur de Courtois, parlemente depuis quelques minutes avec les responsables du dispositif. Il souhaite que le car qui doit emmener le trio arrive le plus tôt possible. Son client, très nerveux, refuse d'attendre davantage.

A l'extérieur du palais, l'ambiance est presque aussi lourde que dans la cour d'assises. Dans une pièce qui jouxte celle-ci se tient une réunion de crise à laquelle assistent MM. Michel Chauty, sénateur-maire, Jean Chevance, préfet de région, et le procureur de la république.

Pour parer à une éventuelle catastrophe, une unité médicalisée du SAMU de Nantes installe une structure mobile de soins.

A 400 kilomètres de là, au même moment, à Bièvres, l'atmosphère a basculé après un appel téléphonique de mise en alerte, arrivé à la permanence du service à 10 h 40. Finie la décontraction des prochaines vacances ! Les hommes sont anxieux ; malgré leur préparation à toutes les situations, la première intervention est toujours un saut dans l'inconnu.

Ange Mancini expose la situation à son équipe dans les grandes lignes. Il s'agit d'une prise d'otages qui met en jeu la vie d'une trentaine de personnes. Le RAID doit intervenir devant les objectifs des télévisions du monde entier. Cet instant attendu mais tant redouté est arrivé. Il faut se montrer à la hauteur. Le patron, grand communicateur et policier dans l'âme, très proche de ses hommes, a su en quelques mots trouver le ton juste pour cadrer l'action de son personnel. Quand à Robert Broussard, le père spirituel du RAID, il se joint tout naturellement à l'opération après accord de Pierre Joxe.

Très rapidement, l'unité principale d'intervention monte à bord du mystère 20 du GLAM (Groupe de Liaison Aérien Ministériel) qui les attend sur le tarmac de l'aérodrome de Villacoublay. Quelques heures plus tard, Christian Lambert, Loïc Janot et leurs hommes rejoignent Nantes par la route avec le matériel lourd. En tout, le RAID a déplacé une trentaine de policiers.

Devant le palais de justice, les badauds maintenus à l'écart regardent avec curiosité et étonnement ces hommes tout de noirs vêtus, qui ne ressemblent pas aux policiers qu'ils ont l'habitude de voir. Pour être honnête, beaucoup de fonctionnaires de police se posent également les mêmes questions, même si certains ont lu ici et là sur le RAID des articles dans les revues professionnelles.

Le duo Broussard-Mancini fait confiance aux anciens de l'antigang qui forment l'ossature du service. Leur expérience leur permet d'encadrer avec efficacité les " jeunes ". Pendant que les deux hommes prennent contact avec les autorités judiciaires et administratives locales, les équipes d'intervention se familiarisent avec les lieux.

Robert Broussard établit le contact avec Courtois. Celui-ci, quelque peu étonné de ce déploiement de forces, paraît flatté d'avoir devant lui " le flic " le plus connu de France. Les premiers échanges n'apportent rien de nouveau. Courtois répète avec agacement qu'il veut quitter le palais de justice avec des otages. Il se déclare prêt à en découdre si nécessaire. Pour le RAID, la mission première est de libérer tous les otages sans faire couler le sang. Fidèles à leur éthique, le préfet Broussard et le commissaire divisionnaire Mancini espère trouver les mots justes qui feront céder Courtois dans la douceur.

Le face-à-face entre les deux hommes débute. Il s'agit pour Broussard d'être prudent, de ne pas heurter, par des propos qui seraient mal interprétés, la sensibilité de Courtois. Il souhaite qu'une certaine confiance s'instaure entre lui, le policier, et les accusés, les preneurs d'otages. Son seul interlocuteur, c'est Courtois, la pièce maîtresse qui peut tout faire basculer dans un sens ou dans l'autre. Pour Broussard, il est hors de question de céder au chantage.

Commencent alors de très longues heures d'attente, au cours desquelles Courtois a un discours où il fait souffler successivement le chaud et le froid. Il joue un jeu cruel avec les nerfs des otages placés sous la menace permanente des armes. Les équipes du RAID sont à pied d'œuvre. Tout un dispositif technique sonore et vidéo permet aux policiers de voir et d'écouter ce qui se passe dans la salle.

Ils peuvent se faire une idée réelle de la situation. Les tireurs d'élite viennent renforcer ceux du GIPN qui avaient pris position devant les différentes portes du tribunal. Un sixième groupe trouve appui sur la verrière qui sert de toit.

Broussard tente d'infléchir l'attitude de Courtois par l'intermédiaire de son avocat Me Taupier. Devant son approche philosophique différente de celle de la police, il y renonce rapidement.

Par expérience, Broussard souhaite conserver en direct la maîtrise de l'opération. Il joue la montre et sait qu'une heure écoulée est une heure gagnée sur l'adversaire. Il sait qu'il doit éviter aux otages le fait de prendre fait et cause pour leurs ravisseurs et pense qu'il peut, le moment utile, abattre une carte importante avec les magistrats professionnels retenu prisonniers. Il va donc tenter de faire libérer petit à petit les autres otages.

Un élément nouveau vient en aide aux hommes du RAID. Un psychiatre, le professeur Guy Besançon, chef du service psychiatrique de l'hôpital Saint-Jacques à Nantes, visionne les vidéos prises par l'équipe de FR3 lors de l'entretien avec Courtois.

Ce médecin définit le profil de chacun des accusés. Son examen montre que Thiolet n'est qu'un exécutant sans grande envergure. Il obéit à Courtois et ne pose pas beaucoup de questions. Il dresse en revanche un tableau nettement plus sombre de Courtois, qu'il présente comme un personnage narcissique à tendance paranoïaque. Khalki est, quand à lui, le type parfait du cyclothymique aux réactions imprévisibles. Le tableau n'est pas réjouissant !

Les précautions et les avis dont s'entourent Broussard et Mancini dès leur arrivée montrent que le RAID n'a pas que les armes à sa disposition. Discuter, écouter, expliquer, argumenter, tenter de convaincre, calmer par le discours sont les premières actions de son intervention.

Les tractations se poursuivent pendant des heures qui semblent interminables. Des réactions " épidermiques " viennent troubler le déroulement des négociations, certains s'interposent et essaient de faire fléchir Broussard en mettant en doute le rôle de la police dans une enceinte judiciaire.

Pugnace, fidèle à ses principes, le commissaire fait face et supporte les critiques sans broncher. Mancini et lui jouent juste. Ils se partagent les rôles : dans le rôle du bon flic conciliant et jovial Ange Mancini, dans celui du négociateur professionnel calme et froid Robert Broussard. Sur la durée, cette stratégie se montrera payante.

Progressivement, le travail de sape apporte ses premiers succès : des otages sont libérés, soit individuellement soit en groupe. A plusieurs reprises, Courtois montre des signes d'énervement : le véhicule que devrait conduire son copain Christian n'arrive toujours pas. Dans la salle d'audience, Courtois et Khalki perdent leur calme et tirent plusieurs coups de revolver. Le moindre bruit, la moindre ombre, le moindre mouvement suspect les énervent. Veulent -ils impressionner les policiers ? Veulent-ils se rassurer ? Veulent-ils terroriser les otages ?

Ces instants de crise sont toujours redoutables et peuvent, par manque de sang-froid du ou des négociateurs, se transformer en catastrophe. Chaque fois, Broussard et Mancini parlent avec patience, trouvent les mots qui calment, ceux qui évitent l'irréparable. Ils tentent également de l'infléchir en faisant venir à plusieurs reprises sa femme ; malheureusement, les espoirs mis dans cette manœuvre ne sont pas à la hauteur des attentes.

La parfaite maîtrise des hommes du RAID, leur calme et le sérieux qu'ils mettent dans cette première mission viennent à leur crédit. Aucun membre de l'équipe ne met en doute les choix du duo de choc qui dirige l'opération. Les policiers doivent agir avec fermeté face aux truands, tout en ménageant les otages et leurs familles. Broussard reste en liaison téléphonique permanente avec le ministère de l'Intérieur et converse soit avec le ministre, soit avec les membres de son cabinet.

Dans le courant de la nuit, vers 4 h 30, les accusés tentent une sortie, enchaînés à leurs otages. Pour parer à cette manœuvre qu'il n'a pas prévue, Broussard fait couper le courant et plonge ainsi le tribunal dans la pénombre. Les hommes du RAID se déplacent entre les piliers de la salle au pas perdus. Surpris et angoissé, le groupe regagne rapidement la salle d'audiences. Cette manœuvre parfaite du RAID, face à des hommes armés et dangereux, montre l'efficacité de leur entraînement.

Une religieuse, qui a bien connu Khalki lors de ses séjours en prison, puis le consul du Maroc, Mohammed Lasfar, tente à plusieurs reprises de dialoguer avec lui, mais en vain. Il reste inflexible et semble hésiter entre un destin de combattant islamique et l'amitié qu'il porte à Courtois. En observant le comportement et en écoutant les propos du Marocain qui remet parfois en cause l'autorité de Courtois, Broussard continue à garder ce dernier comme seul intermédiaire. En effet, il ne peut se permettre de travailler avec deux personnalités aussi différentes. Il doit tout tenter pour le maintenir dans son rôle de chef du trio.

La matinée est riche d'événements plus ou moins bien compris par les parties en présence. Broussard, sans remettre en cause certaines interventions ministérielles, ne comprend pas l'attitude de la place Beauvau sur l'expulsion de Khalki. Respectueux de sa hiérarchie, Broussard se conforme aux instructions.

La prise d'otages a commencé depuis de nombreuses heures. Courtois commence à se fatiguer, il devient de plus en plus nerveux, irritable, et menace presque à chaque instant de se suicider avec ses quatre derniers otages, les magistrats de la cour d'assises.
C'est alors que Broussard et Mancini, d'un commun accord, décident qu'il est temps d'agir : continuer cette course contre le temps deviendrait trop risqué. Courtois est prévenu qu'un véhicule Espace Renault l'attend à la sortie.

C'est le moment critique : enchaîné au président Bailhache, dont le comportement a toujours été exemplaire, il se dirige vers le perron. Arrogant et plein d'assurance, il descend les premières marches avec son otage. D'une main, il serre une grenade dégoupillée et de l'autre brandit son 357 Magnum. La cigarette aux lèvres, il regarde autour de lui et semble encore une fois voir des policiers partout. Exaspéré, il tire une fois, deux fois, trois fois et vide ainsi le barillet de son revolver. Les hommes du RAID comptent les coups. Ils restent calmes et attendent les ordres. Ils ont tous cadrés Courtois dans leur lunette et peuvent à chaque instant le réduire au silence.

Broussard et Mancini attendent, Khalki et Thiolet ne sont pas encore sortis avec leurs otages. Les policiers savent évidemment que la mort de Courtois ne résoudrait rien, bien au contraire elle ne pourrait qu'aggraver la situation. Khalki et Thiolet pourraient alors paniquer et exécuter leurs menaces : tuer leurs otages et se suicider plutôt que de se rendre. Le risque est trop important. On attend donc. C'est possible tant que la situation n'est pas désespérée pour les otages. Courtois continue à tirer au hasard en direction de la foule. Les reporters et les journalistes se sont mis à l'abri.

Un cameraman britannique de la BBC qui filme ressent un choc énorme dans la caméra. Il la retourne et examine, incrédule, l'objectif qui vient d'être traversé par une balle. Il s'interroge sur l'existence des miracles. Il doit la vie à son outil de travail. Pour l'anecdote, il conservera pendant plusieurs années sur son bureau l'optique de sa caméra avec les lentilles traversées par le projectile. Ce genre de souvenir marque une vie !

Courtois plonge dans le doute, il hésite et préfère rebrousser chemin. Il se retourne et se réfugie dans le palais de justice. Il espère que ces quelques instants de répit vont lui permettre de reprendre ses esprits. Il ne peut plus reculer et décide de tenter une nouvelle sortie. Très excité, il pointe son arme sur tout ce qu'il voit. La tension se lit sur son visage émacié, accentuée par des pommettes creuses. Son regard est dur derrière ses lunettes. Il se tient sur la défensive. Mancini est à quelques mètres de lui et tente, une fois de plus par le dialogue, de dédramatiser la situation. Courtois semble presque soulagé d'avoir à cet instant un interlocuteur, même s'il ne prête que peu d'attention à ses propos.

Si la tension est importante sur le perron du palais, elle l'est encore plus dans la salle des pas perdus. Les deux complices de Courtois sortent. Le fanatique religieux a pris le dessus chez Khalki, désormais prêt à mourir en martyr, une grenade à la main, le Coran dans l'autre. Quant à Thiolet, la situation le dépasse, il suit Khalki et tire pour protéger sa fuite. A-t-il compris la situation ? Ce n'est pas certain. Il se sert de son otage comme d'un rempart. Ses propos sont peu cohérents et reflètent un état d'excitation extrême.

Enfin Courtois se décide. Il descend les marches, rejoint l'Espace et il s'y assoit, la gueule de son revolver en direction du magistrat. Khalki sort à son tour, entouré de ses deux magistrats otages, menottés à sa ceinture, suivi à quelques pas par Thiolet. Celui-ci attend en se protégeant derrière les colonnes de pierre, en haut des marches, que Khalki s'engouffre dans le véhicule. La sortie s'est bien passée.

Aussitôt le véhicule démarre, conduit par l'un des magistrats. Commence alors un circuit angoissant de plusieurs kilomètres dans le centre ville et les vieux quartiers, qui se termine à la gare. Courtois connaît bien Nantes, il n'est pas possible de le tromper sur l'itinéraire. Il est suivi par toute une escorte de voitures de police. Quelques jeunes policiers du RAID ironisent sur cette première mission de protection rapprochée d'une " haute personnalité ". Ils ne voyaient pas leur mission ainsi ! Mais leurs surprises ne s'arrêtent pas là.

A la gare, Courtois descend avec son otage. Les deux hommes se dirigent vers le local réservé aux consignes. Dans la gare, les gens sont partagés entre la peur et la surprise à la vue de ces deux individus enchaînés. Le magistrat ouvre avec calme le casier, en extirpe un sac lourd duquel dépasse, entre autres, le canon d'un pistolet -mitrailleur. Le changement de lieu semble avoir eu un effet bénéfique sur Courtois qui paraît moins nerveux. Il pense certainement que son plan se déroule comme il le souhaite, même s'il a pris quelques heures de retard.

Le dernier acte se joue au moment où l'Espace prend la direction de l'aéroport de Château-Bougon. Par radio, des ordres ont été donnés afin de libérer l'accès aux pistes. Les pilotes ont été regroupés pour éviter d'être pris en otages. On a évacué tout le personnel non indispensable au bon fonctionnement des installations aériennes. Les CRS et les hommes du RAID prennent position soit devant les avions soit sur les points hauts. Le véhicule s'immobilise devant les grilles d'accès à l'aérogare. Broussard se dirige vers Courtois. Un nouveau marchandage commence : l'ouverture des grilles contre la libération de deux otages. Courtois réfléchit, sait qu'il ne peut refuser et accepte de relâcher le substitut Varin et son assesseur Dior. Courtois ne retient plus alors que deux personnes.

L'Espace se dirige presque jusqu'en bout de piste, il ralentit, il accélère et finit par stopper. Courtois est déstabilisé, rien ne se passe plus comme il l'avait imaginé initialement. Il est sans réaction quand les véhicules de police l'encerclent, il sait maintenant qu'il a perdu. Le mauvais roman de série noire s'achève sur cette piste noyée dans un épais brouillard, par une nuit froide de fin d'année.

Les truands scrutent le paysage et s'interrogent du regard. Leurs visages reflètent l'inquiétude et le doute. Qui va se rendre le premier ? Seul Khalki n'envisage pas de se livrer. A l'extérieur, les hommes du RAID sont descendus des véhicules et se sont mis en position. Les armes sont sorties, les crans de sécurité des fusils ont été retirés. Les tireurs ont les têtes de Courtois et des ses acolytes dans leur viseur. Ils retiennent leur souffle et n'attendent plus qu'un ordre pour ouvrir le feu, l'index sur la queue de détente. Ils sont prêts.

Broussard, qui est toujours resté en contact avec les autorités, doit régler le cas de Khalki qui fait l'objet d'une mesure d'expulsion immédiate. Il ne veut pas être renvoyé au Maroc. Broussard et le consul chérifien lui expliquent la situation. Désorienté, l'homme hésite et finit par se rendre.

Par orgueil, Courtois tente un dernier baroud d'honneur. Il sait que l'aventure est terminée. Il a joué, il a perdu. Il relâche les deux derniers otages mais pose une ultime condition, celle de pouvoir expliquer aux médias pourquoi il se rend.

Cette première intervention du RAID est un succès retentissant. Tous les otages ont été libérés sains et saufs. Pas une goutte de sang n'a été versée. Les médias du monde entier saluent la police française qui a su gérer une situation aussi extraordinaire que difficile. Pour le RAID, ce coup d'essai est un coup de maître. Afin de donner confiance à un service, il n'y a pas meilleure occasion. Broussard et Mancini ont su avec talent positionner le RAID sur l'échiquier des unités spécialisées. Ils ont justifié l'objectif qu'ils se sont fixés à la création du service.

Les équipes d'intervention n'ont pas encore regagné Brièves que déjà le téléscripteur de la salle de commandement crépite de demandes émanant de services de police du monde entier voulant s'inspirer des méthodes du RAID. Pour les hommes de Mancini, il est temps de passer les fêtes de fin d'année en famille, avec la conscience d'avoir accompli leur devoir.

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