Si
le RAID n'avait que des missions de protection, il
ne serait guère différent des autres
unités de police de France. La création
du RAID a reposé sur un concept novateur associant
les meilleurs moyens techniques au professionnalisme,
tout en privilégiant la dissuasion. Montrer
sa force pour ne pas s'en servir ou ne s'en servir
qu'en dernier recours demeure la règle. Ce
principe a été clairement résumé
en 1985 par Jean-Loup Reverrier, attaché de
presse du cabinet du ministre de l'Intérieur
M. Pierre Joxe, qui a trouvé les quatre mots
clés justifiant l'action de ce service. RAID
= Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion.
A
unité exceptionnelle, affaires exceptionnelles.
Nous sommes à quelques jours de la fin de l'année
1985. La mise en place du RAID est terminée.
Mais la structure est-elle opérationnelle ?
Pour le moment personne ne le sait, puisque aucune
mission ne lui a encore été confiée.
Les hommes terminent leur formation et commencent
à se connaître, même si tous les
automatismes ne sont pas encore totalement rodés.
La
trêve hivernale s'annonce. Certains évoquent
leurs prochaines vacances, les titres de congé
sont déposés et signés. On parle
de voyages au soleil, de ski, de bricolage, dans une
ambiance décontractée. Comme à
son habitude, Ange Mancini, le n°1, règle
avec ses chefs de groupes le calendrier des permanences.
Des policiers en congé quittent pour Noël
les bâtiments du domaine de Bel-Air autrefois
occupés par la congrégation des missions
étrangères. On se souhaite de bonnes
fêtes.
A
la permanence, la radio diffuse les chansons et les
spots de publicité habituels lorsque le programme
s'interrompt pour un flash spécial : une salle
d'audiences du palais de justice de Nantes vient de
subir une prise d'otages. Très rapidement,
la radio et la télévision s'emparent
d'un événement inhabituel dans une telle
enceinte.
La
cour d'assises de Loire-Atlantique s'apprêtait
à juger quatre individus sous les chefs d'accusation
suivants : vol avec violences, association de malfaiteurs,
complicité, recel, falsification de chèques
et usage.
Dans
le box des accusés se tiennent quatre truands
déjà connus. Le plus dangereux, Georges
Courtois (l'homonymie avec l'auteur s'arrête
là !), trente-huit ans, une figure du milieu
nantais, a déjà passé près
de vingt ans derrière les barreaux. Multirécidiviste,
condamné à onze reprises, c'est un professionnel
spécialisé dans les braquages et les
affaires de proxénétisme. Ses différents
séjours en prison, il les a mis a profit pour
étudier les lettres et le droit. En milieu
carcéral, il a passé pour un intellectuel.
Assis
à ses côtés, Patrick Thiolet,
vingt-quatre ans, un " jeune ", qui de 1978
à 1985 n'a presque connu que la prison. Les
deux autres accusés sont leurs amies. Elles
ne comparaissent que pour complicité. Les inculpés
sont jugés pour avoir braqué la banque
de Sucé-sur-Erdre, petit village de la Loire-Atlantique.
Ce hold-up rapide s'est déroulé sans
violence et n'a rapporté qu'un très
faible butin.
Donc
rien d'extraordinaire dans un procès comme
la justice en connaît plusieurs centaines par
an. Le verdict ne doit pas dépasser quelques
lignes dans les quotidiens nationaux et une ou deux
pages dans les journaux locaux.
Dans
ce palais de justice d'un autre temps, en plein centre
ville, entre boutiques et ruelles, commence soudain,
à la surprise de tous, une mauvaise pièce
de théâtre surréaliste dans laquelle
les rôles sont brutalement inversés.
Le principal accusé se transforme en un président
et un procureur, se mettant à humilier magistrats
et jurés. La loi, les règles et les
institutions républicaines sont bafouées.
Une situation qui serait ubuesque si des vies humaines
n'étaient pas menacées. Que s'est-il
donc passé, ce 19 décembre, pour en
arriver là ?
Le
procès a commencé normalement. Dans
la salle, le président Dominique Bailhache
dirige les débats, assisté de MM. Dior
et Bureau. Les jurés se tiennent autour du
président. Courtois est défendu par
Me Taupier. Quant à l'avocat général,
M. Philippe Varin, il requiert au nom de la société.
La greffière consigne les paroles du président.
L'assistance est composée de journalistes locaux
dont celui de Ouest-France, d'étudiants en
droit, de quelques représentants de la société
bancaire attaquée et d'un public nombreux composé
d'habitués et de curieux. La lecture des chefs
d'accusation est terminée et le président
se prépare à étudier la personnalité
des inculpés.
Depuis
quelques minutes, Courtois semble moins attentif.
Il devient nerveux et paraît étranger
aux débats, comme plongé dans ses pensées.
Son regard va rapidement de la porte d'entrée
aux fenêtres. Il tripote sa montre. Il semble
attendre, mais quoi ?
La
réponse arrive brutalement. Un bruit sourd
dans le hall du palais, des cris montent du couloir.
Il est 10 h 30. Abdelkarim Khalki vient de franchir
les portes de l'enceinte judiciaire. Cet homme d'origine
marocaine, né à Fez au début
des années 50, séjourne en France depuis
1974. Connu des services de police, il a déjà
fait l'objet de plusieurs condamnations pour vols
à main armée. Il garde de ses passages
en prison de solides amitiés. A l'occasion
de l'un d'eux, il fait la connaissance de Courtois
avec lequel il partage la cellule.
Au
moment de passer à la fouille de sécurité,
dans la salle des pas perdus, Khalki brandit une grenade
et un revolver qu'il tenait cachés sous son
imperméable. Aussitôt il place le canon
de son arme contre le cou du sous-brigadier de faction
et lui ordonne de le conduire dans la salle d'assises,
en prenant son corps pour bouclier. Deux détonations
assourdissantes annoncent son entrée et plongent
la salle dans l'angoisse et la consternation.
Une
grenade dégoupillée à la main,
Khalki se dirige sans hésiter vers le banc
des accusés et tend un revolver à Courtois.
Surpris par cette arrivée, les gardiens de
la paix n'ont pas le temps de réagir et se
retrouve désarmés.
Courtois
leur intime l'ordre de quitter la salle le plus rapidement
possible. Il se retourne vers l'assistance et hurle
: " C'est une prise d'otages ! Tout le monde
reste tranquille ! " Il pointe ses armes en menaçant
le public pour montrer qu'il ne plaisante pas, et
vocifère des injures. Les deux femmes amies
et complices quittent la salle. Courtois n'a pas prévu
de les associer à son plan. Elles sont immédiatement
reconduites à la maison d'arrêt de Nantes.
Après quelques secondes de flottement, une
chape de plomb semble tomber sur la cour d'assises.
Tout le monde reste à sa place. Les journalistes
se retrouvent au cœur de l'événement.
Le scoop vécu de l'intérieur !
Courtois,
Thiolet et Khalki contrôlent les mouvements
de la salle. Courtois prend naturellement le commandement,
que les deux autres membres ne lui contestent pas.
Sur le banc des accusés, Khalki dépose
le matériel qu'il a apporté avec lui.
Il s'est muni de chaînes, de plusieurs paires
de menottes et d'un poste radio. Courtois ne cache
plus son excitation, proche de la jubilation. Il vient
d'acquérir le pouvoir de vie et de mort sur
les juges. Rien ne fera échouer son plan, il
est le meilleur !
Lucide,
il se rend vite compte qu'il ne peut gérer
un si grand nombre d'otages. Il décide alors
de faire sortir une partie du public pour ne garder
que les juges, les jurés, la greffière,
les journalistes et les étudiants en droit,
soit au total une trentaine de personnes. Après
avoir obligé ses otages à se regrouper
dans les premiers rangs de la salle, il se lance dans
une diatribe contre la société et ses
représentants. Son discours accuse tour à
tour les juges professionnels et les jurés
de se prêter au jeu d'une justice répressive.
Pointant son arme sur le président Bailhache
et sur l'unique témoin convoqué, il
s'écrie : " Tu sais ce que ça fait,
une balle de 357 dans la tête ? Boum et plus
rien ! "
Courtois
réclame un car pour lui permettre de s'enfuir.
Il veut que ce véhicule soit conduit par un
de ses copains, un dénommé Christian.
Il exige également la présence d'une
équipe de FR3 Nantes pour expliquer son geste
devant les caméras. Pour lui, ce passage à
la télévision est important. La presse
audiovisuelle représente son sauf-conduit vers
la liberté. Il pense qu'après une diffusion
de son interview, il ne risquera plus d'être
tué par la police.
Pendant
les quelques minutes du reportage, dirigé par
Bernard Dussolle, rédacteur en chef de la station
régionale, il se livre à un jeu de rôle.
Il tente de justifier son action par un discours tantôt
philosophique, tantôt révolutionnaire.
Il est prêt à défendre les opprimés
pour montrer sa fidélité aux idées
de Khalki. En effet, ce dernier revendique son appartenance
à un mouvement de libération de la Palestine.
En fait, l'amphigouri de Courtois reflète une
personnalité victime de troubles du comportement.
Courtois
agite son arme de fort calibre et répète
sa détermination à aller jusqu'au bout.
Il émaille son discours de formules à
l'emporte-pièce comme : " La sortie va
être chaude ! Nous partons ou nous mourons.
" Il menace même le témoin de lui
fracasser le genou d'une balle pour que la prochaine
fois, si l'envie lui reste, il vienne déposer
dans une chaise roulante.
Le
côté sensationnel de cette prise d'otages
n'échappe pas aux médias. Dès
la réception de la première dépêche
de l'Agence France Presse sur les téléscripteurs
des rédactions, les grandes chaînes de
télévision nationales et internationales
envoient des équipes sur les lieux.
A
l'extérieur, les autorités s'organisent.
L'alerte ayant été donnée, les
hommes du GIPN de Rennes arrivent très rapidement
sur les lieux. Les tireurs d'élite prennent
possession du site : les points hauts, les portes
et les fenêtres sont placés sous surveillance.
Un filtrage sévère des forces de l'ordre
s'opère aux alentours. Toutes les rues sont
bouclées. Le palais de justice est en état
de siège. Me Michel Taupier, défenseur
de Courtois, parlemente depuis quelques minutes avec
les responsables du dispositif. Il souhaite que le
car qui doit emmener le trio arrive le plus tôt
possible. Son client, très nerveux, refuse
d'attendre davantage.
A
l'extérieur du palais, l'ambiance est presque
aussi lourde que dans la cour d'assises. Dans une
pièce qui jouxte celle-ci se tient une réunion
de crise à laquelle assistent MM. Michel Chauty,
sénateur-maire, Jean Chevance, préfet
de région, et le procureur de la république.
Pour
parer à une éventuelle catastrophe,
une unité médicalisée du SAMU
de Nantes installe une structure mobile de soins.
A
400 kilomètres de là, au même
moment, à Bièvres, l'atmosphère
a basculé après un appel téléphonique
de mise en alerte, arrivé à la permanence
du service à 10 h 40. Finie la décontraction
des prochaines vacances ! Les hommes sont anxieux
; malgré leur préparation à toutes
les situations, la première intervention est
toujours un saut dans l'inconnu.
Ange
Mancini expose la situation à son équipe
dans les grandes lignes. Il s'agit d'une prise d'otages
qui met en jeu la vie d'une trentaine de personnes.
Le RAID doit intervenir devant les objectifs des télévisions
du monde entier. Cet instant attendu mais tant redouté
est arrivé. Il faut se montrer à la
hauteur. Le patron, grand communicateur et policier
dans l'âme, très proche de ses hommes,
a su en quelques mots trouver le ton juste pour cadrer
l'action de son personnel. Quand à Robert Broussard,
le père spirituel du RAID, il se joint tout
naturellement à l'opération après
accord de Pierre Joxe.
Très
rapidement, l'unité principale d'intervention
monte à bord du mystère 20 du GLAM (Groupe
de Liaison Aérien Ministériel) qui les
attend sur le tarmac de l'aérodrome de Villacoublay.
Quelques heures plus tard, Christian Lambert, Loïc
Janot et leurs hommes rejoignent Nantes par la route
avec le matériel lourd. En tout, le RAID a
déplacé une trentaine de policiers.
Devant
le palais de justice, les badauds maintenus à
l'écart regardent avec curiosité et
étonnement ces hommes tout de noirs vêtus,
qui ne ressemblent pas aux policiers qu'ils ont l'habitude
de voir. Pour être honnête, beaucoup de
fonctionnaires de police se posent également
les mêmes questions, même si certains
ont lu ici et là sur le RAID des articles dans
les revues professionnelles.
Le
duo Broussard-Mancini fait confiance aux anciens de
l'antigang qui forment l'ossature du service. Leur
expérience leur permet d'encadrer avec efficacité
les " jeunes ". Pendant que les deux hommes
prennent contact avec les autorités judiciaires
et administratives locales, les équipes d'intervention
se familiarisent avec les lieux.
Robert
Broussard établit le contact avec Courtois.
Celui-ci, quelque peu étonné de ce déploiement
de forces, paraît flatté d'avoir devant
lui " le flic " le plus connu de France.
Les premiers échanges n'apportent rien de nouveau.
Courtois répète avec agacement qu'il
veut quitter le palais de justice avec des otages.
Il se déclare prêt à en découdre
si nécessaire. Pour le RAID, la mission première
est de libérer tous les otages sans faire couler
le sang. Fidèles à leur éthique,
le préfet Broussard et le commissaire divisionnaire
Mancini espère trouver les mots justes qui
feront céder Courtois dans la douceur.
Le
face-à-face entre les deux hommes débute.
Il s'agit pour Broussard d'être prudent, de
ne pas heurter, par des propos qui seraient mal interprétés,
la sensibilité de Courtois. Il souhaite qu'une
certaine confiance s'instaure entre lui, le policier,
et les accusés, les preneurs d'otages. Son
seul interlocuteur, c'est Courtois, la pièce
maîtresse qui peut tout faire basculer dans
un sens ou dans l'autre. Pour Broussard, il est hors
de question de céder au chantage.
Commencent
alors de très longues heures d'attente, au
cours desquelles Courtois a un discours où
il fait souffler successivement le chaud et le froid.
Il joue un jeu cruel avec les nerfs des otages placés
sous la menace permanente des armes. Les équipes
du RAID sont à pied d'œuvre. Tout un dispositif
technique sonore et vidéo permet aux policiers
de voir et d'écouter ce qui se passe dans la
salle.
Ils
peuvent se faire une idée réelle de
la situation. Les tireurs d'élite viennent
renforcer ceux du GIPN qui avaient pris position devant
les différentes portes du tribunal. Un sixième
groupe trouve appui sur la verrière qui sert
de toit.
Broussard
tente d'infléchir l'attitude de Courtois par
l'intermédiaire de son avocat Me Taupier. Devant
son approche philosophique différente de celle
de la police, il y renonce rapidement.
Par
expérience, Broussard souhaite conserver en
direct la maîtrise de l'opération. Il
joue la montre et sait qu'une heure écoulée
est une heure gagnée sur l'adversaire. Il sait
qu'il doit éviter aux otages le fait de prendre
fait et cause pour leurs ravisseurs et pense qu'il
peut, le moment utile, abattre une carte importante
avec les magistrats professionnels retenu prisonniers.
Il va donc tenter de faire libérer petit à
petit les autres otages.
Un
élément nouveau vient en aide aux hommes
du RAID. Un psychiatre, le professeur Guy Besançon,
chef du service psychiatrique de l'hôpital Saint-Jacques
à Nantes, visionne les vidéos prises
par l'équipe de FR3 lors de l'entretien avec
Courtois.
Ce
médecin définit le profil de chacun
des accusés. Son examen montre que Thiolet
n'est qu'un exécutant sans grande envergure.
Il obéit à Courtois et ne pose pas beaucoup
de questions. Il dresse en revanche un tableau nettement
plus sombre de Courtois, qu'il présente comme
un personnage narcissique à tendance paranoïaque.
Khalki est, quand à lui, le type parfait du
cyclothymique aux réactions imprévisibles.
Le tableau n'est pas réjouissant !
Les
précautions et les avis dont s'entourent Broussard
et Mancini dès leur arrivée montrent
que le RAID n'a pas que les armes à sa disposition.
Discuter, écouter, expliquer, argumenter, tenter
de convaincre, calmer par le discours sont les premières
actions de son intervention.
Les
tractations se poursuivent pendant des heures qui
semblent interminables. Des réactions "
épidermiques " viennent troubler le déroulement
des négociations, certains s'interposent et
essaient de faire fléchir Broussard en mettant
en doute le rôle de la police dans une enceinte
judiciaire.
Pugnace,
fidèle à ses principes, le commissaire
fait face et supporte les critiques sans broncher.
Mancini et lui jouent juste. Ils se partagent les
rôles : dans le rôle du bon flic conciliant
et jovial Ange Mancini, dans celui du négociateur
professionnel calme et froid Robert Broussard. Sur
la durée, cette stratégie se montrera
payante.
Progressivement,
le travail de sape apporte ses premiers succès
: des otages sont libérés, soit individuellement
soit en groupe. A plusieurs reprises, Courtois montre
des signes d'énervement : le véhicule
que devrait conduire son copain Christian n'arrive
toujours pas. Dans la salle d'audience, Courtois et
Khalki perdent leur calme et tirent plusieurs coups
de revolver. Le moindre bruit, la moindre ombre, le
moindre mouvement suspect les énervent. Veulent
-ils impressionner les policiers ? Veulent-ils se
rassurer ? Veulent-ils terroriser les otages ?
Ces
instants de crise sont toujours redoutables et peuvent,
par manque de sang-froid du ou des négociateurs,
se transformer en catastrophe. Chaque fois, Broussard
et Mancini parlent avec patience, trouvent les mots
qui calment, ceux qui évitent l'irréparable.
Ils tentent également de l'infléchir
en faisant venir à plusieurs reprises sa femme
; malheureusement, les espoirs mis dans cette manœuvre
ne sont pas à la hauteur des attentes.
La
parfaite maîtrise des hommes du RAID, leur calme
et le sérieux qu'ils mettent dans cette première
mission viennent à leur crédit. Aucun
membre de l'équipe ne met en doute les choix
du duo de choc qui dirige l'opération. Les
policiers doivent agir avec fermeté face aux
truands, tout en ménageant les otages et leurs
familles. Broussard reste en liaison téléphonique
permanente avec le ministère de l'Intérieur
et converse soit avec le ministre, soit avec les membres
de son cabinet.
Dans
le courant de la nuit, vers 4 h 30, les accusés
tentent une sortie, enchaînés à
leurs otages. Pour parer à cette manœuvre
qu'il n'a pas prévue, Broussard fait couper
le courant et plonge ainsi le tribunal dans la pénombre.
Les hommes du RAID se déplacent entre les piliers
de la salle au pas perdus. Surpris et angoissé,
le groupe regagne rapidement la salle d'audiences.
Cette manœuvre parfaite du RAID, face à
des hommes armés et dangereux, montre l'efficacité
de leur entraînement.
 |
Une
religieuse, qui a bien connu Khalki lors de ses séjours
en prison, puis le consul du Maroc, Mohammed Lasfar,
tente à plusieurs reprises de dialoguer avec
lui, mais en vain. Il reste inflexible et semble hésiter
entre un destin de combattant islamique et l'amitié
qu'il porte à Courtois. En observant le comportement
et en écoutant les propos du Marocain qui remet
parfois en cause l'autorité de Courtois, Broussard
continue à garder ce dernier comme seul intermédiaire.
En effet, il ne peut se permettre de travailler avec
deux personnalités aussi différentes.
Il doit tout tenter pour le maintenir dans son rôle
de chef du trio.
La
matinée est riche d'événements
plus ou moins bien compris par les parties en présence.
Broussard, sans remettre en cause certaines interventions
ministérielles, ne comprend pas l'attitude
de la place Beauvau sur l'expulsion de Khalki. Respectueux
de sa hiérarchie, Broussard se conforme aux
instructions.
La
prise d'otages a commencé depuis de nombreuses
heures. Courtois commence à se fatiguer, il
devient de plus en plus nerveux, irritable, et menace
presque à chaque instant de se suicider avec
ses quatre derniers otages, les magistrats de la cour
d'assises.
C'est alors que Broussard et Mancini, d'un commun
accord, décident qu'il est temps d'agir : continuer
cette course contre le temps deviendrait trop risqué.
Courtois est prévenu qu'un véhicule
Espace Renault l'attend à la sortie.
C'est
le moment critique : enchaîné au président
Bailhache, dont le comportement a toujours été
exemplaire, il se dirige vers le perron. Arrogant
et plein d'assurance, il descend les premières
marches avec son otage. D'une main, il serre une grenade
dégoupillée et de l'autre brandit son
357 Magnum. La cigarette aux lèvres, il regarde
autour de lui et semble encore une fois voir des policiers
partout. Exaspéré, il tire une fois,
deux fois, trois fois et vide ainsi le barillet de
son revolver. Les hommes du RAID comptent les coups.
Ils restent calmes et attendent les ordres. Ils ont
tous cadrés Courtois dans leur lunette et peuvent
à chaque instant le réduire au silence.
Broussard
et Mancini attendent, Khalki et Thiolet ne sont pas
encore sortis avec leurs otages. Les policiers savent
évidemment que la mort de Courtois ne résoudrait
rien, bien au contraire elle ne pourrait qu'aggraver
la situation. Khalki et Thiolet pourraient alors paniquer
et exécuter leurs menaces : tuer leurs otages
et se suicider plutôt que de se rendre. Le risque
est trop important. On attend donc. C'est possible
tant que la situation n'est pas désespérée
pour les otages. Courtois continue à tirer
au hasard en direction de la foule. Les reporters
et les journalistes se sont mis à l'abri.
Un
cameraman britannique de la BBC qui filme ressent
un choc énorme dans la caméra. Il la
retourne et examine, incrédule, l'objectif
qui vient d'être traversé par une balle.
Il s'interroge sur l'existence des miracles. Il doit
la vie à son outil de travail. Pour l'anecdote,
il conservera pendant plusieurs années sur
son bureau l'optique de sa caméra avec les
lentilles traversées par le projectile. Ce
genre de souvenir marque une vie !
Courtois
plonge dans le doute, il hésite et préfère
rebrousser chemin. Il se retourne et se réfugie
dans le palais de justice. Il espère que ces
quelques instants de répit vont lui permettre
de reprendre ses esprits. Il ne peut plus reculer
et décide de tenter une nouvelle sortie. Très
excité, il pointe son arme sur tout ce qu'il
voit. La tension se lit sur son visage émacié,
accentuée par des pommettes creuses. Son regard
est dur derrière ses lunettes. Il se tient
sur la défensive. Mancini est à quelques
mètres de lui et tente, une fois de plus par
le dialogue, de dédramatiser la situation.
Courtois semble presque soulagé d'avoir à
cet instant un interlocuteur, même s'il ne prête
que peu d'attention à ses propos.
Si
la tension est importante sur le perron du palais,
elle l'est encore plus dans la salle des pas perdus.
Les deux complices de Courtois sortent. Le fanatique
religieux a pris le dessus chez Khalki, désormais
prêt à mourir en martyr, une grenade
à la main, le Coran dans l'autre. Quant à
Thiolet, la situation le dépasse, il suit Khalki
et tire pour protéger sa fuite. A-t-il compris
la situation ? Ce n'est pas certain. Il se sert de
son otage comme d'un rempart. Ses propos sont peu
cohérents et reflètent un état
d'excitation extrême.
Enfin
Courtois se décide. Il descend les marches,
rejoint l'Espace et il s'y assoit, la gueule de son
revolver en direction du magistrat. Khalki sort à
son tour, entouré de ses deux magistrats otages,
menottés à sa ceinture, suivi à
quelques pas par Thiolet. Celui-ci attend en se protégeant
derrière les colonnes de pierre, en haut des
marches, que Khalki s'engouffre dans le véhicule.
La sortie s'est bien passée.
Aussitôt
le véhicule démarre, conduit par l'un
des magistrats. Commence alors un circuit angoissant
de plusieurs kilomètres dans le centre ville
et les vieux quartiers, qui se termine à la
gare. Courtois connaît bien Nantes, il n'est
pas possible de le tromper sur l'itinéraire.
Il est suivi par toute une escorte de voitures de
police. Quelques jeunes policiers du RAID ironisent
sur cette première mission de protection rapprochée
d'une " haute personnalité ". Ils
ne voyaient pas leur mission ainsi ! Mais leurs surprises
ne s'arrêtent pas là.
A
la gare, Courtois descend avec son otage. Les deux
hommes se dirigent vers le local réservé
aux consignes. Dans la gare, les gens sont partagés
entre la peur et la surprise à la vue de ces
deux individus enchaînés. Le magistrat
ouvre avec calme le casier, en extirpe un sac lourd
duquel dépasse, entre autres, le canon d'un
pistolet -mitrailleur. Le changement de lieu semble
avoir eu un effet bénéfique sur Courtois
qui paraît moins nerveux. Il pense certainement
que son plan se déroule comme il le souhaite,
même s'il a pris quelques heures de retard.
Le
dernier acte se joue au moment où l'Espace
prend la direction de l'aéroport de Château-Bougon.
Par radio, des ordres ont été donnés
afin de libérer l'accès aux pistes.
Les pilotes ont été regroupés
pour éviter d'être pris en otages. On
a évacué tout le personnel non indispensable
au bon fonctionnement des installations aériennes.
Les CRS et les hommes du RAID prennent position soit
devant les avions soit sur les points hauts. Le véhicule
s'immobilise devant les grilles d'accès à
l'aérogare. Broussard se dirige vers Courtois.
Un nouveau marchandage commence : l'ouverture des
grilles contre la libération de deux otages.
Courtois réfléchit, sait qu'il ne peut
refuser et accepte de relâcher le substitut
Varin et son assesseur Dior. Courtois ne retient plus
alors que deux personnes.
L'Espace
se dirige presque jusqu'en bout de piste, il ralentit,
il accélère et finit par stopper. Courtois
est déstabilisé, rien ne se passe plus
comme il l'avait imaginé initialement. Il est
sans réaction quand les véhicules de
police l'encerclent, il sait maintenant qu'il a perdu.
Le mauvais roman de série noire s'achève
sur cette piste noyée dans un épais
brouillard, par une nuit froide de fin d'année.
Les
truands scrutent le paysage et s'interrogent du regard.
Leurs visages reflètent l'inquiétude
et le doute. Qui va se rendre le premier ? Seul Khalki
n'envisage pas de se livrer. A l'extérieur,
les hommes du RAID sont descendus des véhicules
et se sont mis en position. Les armes sont sorties,
les crans de sécurité des fusils ont
été retirés. Les tireurs ont
les têtes de Courtois et des ses acolytes dans
leur viseur. Ils retiennent leur souffle et n'attendent
plus qu'un ordre pour ouvrir le feu, l'index sur la
queue de détente. Ils sont prêts.
Broussard,
qui est toujours resté en contact avec les
autorités, doit régler le cas de Khalki
qui fait l'objet d'une mesure d'expulsion immédiate.
Il ne veut pas être renvoyé au Maroc.
Broussard et le consul chérifien lui expliquent
la situation. Désorienté, l'homme hésite
et finit par se rendre.
Par
orgueil, Courtois tente un dernier baroud d'honneur.
Il sait que l'aventure est terminée. Il a joué,
il a perdu. Il relâche les deux derniers otages
mais pose une ultime condition, celle de pouvoir expliquer
aux médias pourquoi il se rend.
Cette
première intervention du RAID est un succès
retentissant. Tous les otages ont été
libérés sains et saufs. Pas une goutte
de sang n'a été versée. Les médias
du monde entier saluent la police française
qui a su gérer une situation aussi extraordinaire
que difficile. Pour le RAID, ce coup d'essai est un
coup de maître. Afin de donner confiance à
un service, il n'y a pas meilleure occasion. Broussard
et Mancini ont su avec talent positionner le RAID
sur l'échiquier des unités spécialisées.
Ils ont justifié l'objectif qu'ils se sont
fixés à la création du service.
Les
équipes d'intervention n'ont pas encore regagné
Brièves que déjà le téléscripteur
de la salle de commandement crépite de demandes
émanant de services de police du monde entier
voulant s'inspirer des méthodes du RAID. Pour
les hommes de Mancini, il est temps de passer les
fêtes de fin d'année en famille, avec
la conscience d'avoir accompli leur devoir.