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Médecin au RAID


09/11/2016 : Mathieu, anesthésiste-réanimateur, médecin-chef du RAID

"Je n’étais pas d’alerte ce soir-là mais je rejoins assez vite le RAID. Quand nous partons sur Paris, nous ne connaissons pas la situation exacte au Bataclan. Les premières informations reçues sont : tuerie – attentats multiples – fusillade en cours. La notion de prise d’otages dans le Bataclan survient lors du trajet vers Paris.

Nous arrivons à l’angle du boulevard Beaumarchais et de l’avenue Voltaire. Les gens hurlent « ça tire, ça tire, planquez-vous ! ». Là , nous sommes deux médecins du RAID. Nous voyons des corps un peu partout dans la rue du Bataclan. Nous rentrons par l’entrée principale du Bataclan. Nous sommes alors face à une scène de désolation totale. Je sais tout de suite qu’il y aura un nombre très important de morts par traumatisme pénétrant. J’ai déjà connu des plans rouges sur diverses interventions, mais un truc comme ça, avec en plus la notion de danger permanent, car on sait qu’il y a toujours deux terroristes dans la salle avec des ceintures, c’est du jamais vu. Il y a tellement de corps qu’il est impossible de franchir l’entrée, donc je me dis qu’il va très vite falloir organiser l’évacuation des blessés.

Je parviens à me placer devant la fosse et dis très fermement et fort : « si des gens sont valides, venez vers nous ». Il y avait devant nous au bas mot 200 blessés ou tués. Personne ne bouge. Je me dis que ça va être difficile. J’essaie de prendre du recul et d’avoir une vision d’ensemble. La priorité est d’organiser l’évacuation d’un nombre très important de blessés et d’otages. Nous ne sommes pas nombreux. Bien sûr, j’ai mis des compressifs et fait des garrots, mais l’idée était d’organiser un nid de blessés, à évacuer par norias, selon notre doctrine d’intervention. Nous avons travaillé dans des conditions dégradées et nous nous sommes adaptés comme nous avons pu. Nous avons organisé un cheminement du nid de blessés dans la fosse jusqu’au point de regroupement des victimes, à la charge de la BSPP, à l’extérieur de la salle.

Les primo-intervenants ont fait un super travail. On sentait bien qu’ils étaient pris par l’émotion de la situation. Mon rôle était de les guider, qu’ils ne perdent pas de temps, qu’ils fassent abstraction de cas personnels pour gérer l’urgence. Je comprends que je leur ai peut-être demandé des choses qui allaient quelque part contre nature.
« Je sais que tu souffres mais on a trente mètres à faire et tu seras sauvé »

J’ai fait marcher des gens avec des jambes explosées qui souffraient le martyr. Je leur disais « je sais que tu souffres mais on a trente mètres à faire et tu seras sauvé ». Si on prend tous les standards de médecine d’urgence, on a fait du « damage control » mais on n’a pas pu gérer individuellement chaque blessé comme on aurait voulu le faire.

Depuis, je me suis beaucoup posé la question : aurait-on pu faire mieux ? Je suis sûr d’une chose, c’est qu’on a fait le maximum à quatre médecins, deux du RAID et deux de la BRI. Psychologiquement, j’ai essayé de trouver un juste équilibre entre ma détermination à les sortir vite et la confiance qu’on doit donner aux blessés. Il faut qu’ils comprennent en deux secondes qu’ils n’ont pas le choix et que malgré la douleur, il va falloir y aller. Le médecin voudrait prendre plus de temps à accompagner la personne, à l’écouter, mais là je sais que je n’avais pas le choix.

C’est l’humain qui reste avant tout gravé en moi, des regards, des gestes, des attentions. Les pompiers qui nous aident, les regards de blessés, les mercis des otages, les cris de douleur, des policiers qui faisaient des choses insupportables, chapeau à eux.

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Interview 2003 : Entretien avec le Docteur L., médecin au RAID, anesthésiste-rénimateur, physiquement entraîné, le Dr.L échange régulièrement sa blouse blanche contre la combinaison noire du RAID, le groupe d'élite de la police nationale.

Pour Caramed, le Dr.L a ouvert les coulisses de son métier où se mêle secret médical et secret défense.

- Caramed : Pouvez-vous expliquer brièvement en quoi consiste votre métier ? L’exercez-vous à temps plein et devez-vous être disponible 24 heures sur 24 ?

Dr L : "...Protection, soins, sélection et gestion de crise..."Le RAID est une unité constituée de 100 policiers triés sur le volet. Afin d’assurer une présence médicale continue, nous sommes quatre médecins contractuels à travailler au RAID. Nous y exerçons à temps partiel. Le reste de notre activité s’effectue dans un hôpital universitaire parisien.

Chaque mission est couverte par, au moins, un des praticiens du « Groupe Médical d’Intervention » (GMI). La rotation s’organise par groupe de jour. Nous essayons ainsi de limiter les périodes de relais. En pratique, chaque journée de 24 heures est couverte par au moins un médecin et ce, naturellement toute l’année.

Notre travail ? Il s’articule autour de 4 grands axes :

- la protection médicale rapprochée. C’est la mission prioritaire
- les soins au quotidien (vaccinations, pathologies traumatiques de l’entraînement,etc…)
- la sélection d’entrée et le suivi médico-sportif : cela se fait un peu sur le modèle d’un club sportif de haut niveau ( copié sur ce qui se fait dans les clubs sportifs de haut niveau). Il s’agit de tester les aptitudes (visuelles, auditives, ostéo-articulaires) et d’évaluer la performance de chacun.
- Un rôle de conseil et de gestion de crise : dans la négociation et le profilage des situations et des individus ; dans l’interface avec les médecins traitants car une grande majorité des « forcenés » ont des antécédents psychiatriques.

Lorsqu' il y a un blessé, la meilleure technique de l' éloigner de la zone et de le porter ou de le traîner rapidement,
car s' encombrer avec un brancard lors d' intervention est très gènant.
Ou alors il faut attendre la fin de l' intervention pour porter les premiers soins.

- Caramed : Qu’est-ce qui a motivé le recours à un médecin spécifique au RAID ? Le GIGN ou d’autres unités étrangères le font-elles également ?

Dr L: Cette association de médecins spécifiques à une d’une unité d’intervention est, me semble-t-il, unique au monde. Elle a débuté en février 1994, avec deux médecins seulement au départ.

L’idée initiale a été de pouvoir faire intervenir un médecin avec son matériel d’intervention complet et adapté, quelque soit le patient et quelque soit le lieu et les circonstances. Il permet d’assurer un niveau de qualité constant. Le RAID, qui a une compétence nationale, peut ainsi fonctionner en autonomie complète.

Les services de secours locaux, territorialement compétents, (SAMU, Sapeurs-Pompiers,…) ne peuvent pas toujours intervenir sur le lieu même de l’action d’une part pour des raisons de sécurité car ils ne sont ni formés, ni entraînés de manière spécifique, ni équipés de matériels de sécurité (gilet pare-balle, casque, etc…) leur permettant d’être un minimum protégé et d’autre part en raison de la confidentialité de certaines interventions. Chaque médecin du GMI doit d’ailleurs être habilité « secret défense ».

En revanche, les services de secours « classiques » ont un rôle important dans les situations stabilisées . Nous assurons la coordination sanitaire en évaluant avec eux et en temps réel les besoins objectifs sur chaque affaire. Les relations avec ces partenaires sont constamment excellentes. En effet, les médecins du GMI sont tous issus du monde de l’urgence et chacun comprend bien, me semble-t-il les impératifs et les contraintes de l’autre. S’occuper de la gestion de la sécurité sanitaire permet aux « Raiders » d’être totalement déchargés de cet aspect des choses.

Quant au GIGN, il s’agit de médecins militaires qui sont affectés au Groupement de Gendarmerie de Satory (Yvelines)et qui assurent la permanence de soins pour les gendarmes et leur famille. Leur intégration à l’unité d’intervention est de fait plus « latérale ».A l’étranger, il s’agit plutôt de secouristes ou de paramédicaux.

(Le groupe médical en 2003)

- Caramed : Quelles sont les différences majeures, face à une médecine traditionnelle, du point de vue :

- technique (matériels ? type d’intervention ?)
- physique (entraînement ? sollicitation plus importante ?)
- psychologique (réactions au stress, implication personnelle, prise en charge et soutien psychologique)

Dr L : "Physiquement et psychologiquement très fort":

- pour le matériel, nous sommes équipés de deux types de matériels. Un pour la zone « chaude » grâce à un gilet tactique très fonctionnel qui permet de gérer au plus près de détresse éventuelle l’hypoxémie, l’hypovolémie et la douleur et un autre, pour l’arrière grâce à un véhicule spécial d’intervention (amené systématiquement sur le lieu de l’opération même par voie aéroporté). Il est similaire à un véhicule du SAMU (en plus discret…).

En ce qui concerne la tenue, nous portons la même combinaison noire, une cagoule : seules différences, l’absence d’armes et l’inscription « médecin ». Le matériel est pris en charge financièrement par le Ministère de l’Intérieur qui, je dois le dire, a bien compris l’intérêt de cette prestation et nous assure des conditions matérielles de travail très satisfaisantes.

- physiquement, nous faisons du sport avec le reste de l’unité. Les disciplines pratiquées sont très variées : cela va des sports de combat, à la plongée, au parachutisme en passant par les sports collectifs. Il existe des entraînements techniques particuliers, destinés aux médecins : escalade, maniement d’armes, conduite rapide…Un certain niveau sportif est nécessaire pour suivre le groupe sur le lieu de l’intervention, quel qu’il soit. Au RAID, l’intégration se fait aussi sur un ring de boxe ou avec un parachute dans le dos…

- psychologiquement, il n’y a pas de formation particulière mais les gens sont sélectionnés en fonction de paramètres psychologiques très stricts. La stabilité est requise avant tout : c’est indispensable pour des interventions qui sont toujours à haute pression, avec un mélange médico-policier très particulier. Il faut avoir une bonne expérience professionnelle de situations du même type ( bloc, SAU, SAMU) ; l’implication émotionnelle est inévitable mais on apprend à la gérer.

-Caramed : Quelles relations entretenez-vous avec les policiers ? Allez-vous au delà de votre rôle de médecin, sachant que la pression et les conditions d’exercice inhérentes à leur profession sont difficiles à gérer ?

Dr L : "Nos soins ne dépendent ni du grade ni du casier judiciaire":

Il a fallu apprendre à s’apprivoiser mutuellement. Nous débarquions en tant que médecins au sein d’un groupe très soudé et qui se connaît bien. L’intégration n’a pas toujours été facile : nous étions face à des compétiteurs appartenant à un service d’élite. Les choses se sont faites progressivement. Et je leur rends grâce de nous avoir accueilli finalement aussi bien.

Mais il ne doit surtout pas y avoir de confusion de rôle : nous sommes des médecins et pas des policiers.

Le but majeur était d’arriver à une cohésion de groupe, totale, à une intégration parfaite du médical et du policier. Nous devons donc savoir exactement ce que vivent les policiers, comprendre ce dont ils parlent, ce qu’ils vont être amenés à faire, avec les risques et les contraintes que cela comporte. Il faut fournir les meilleures conditions de sécurité pour tout le mode, les soins les plus pertinents et rapides possibles. Je tiens à préciser que nos prises en charge médicale peuvent naturellement concerner aussi bien les policiers que les individus impliqués par l’action du RAID. Il y a la une dimension éthique et morale qui est, pour nous absolument fondamentale, incontournable. Nos soins ne dépendent ni du grade ni du casier judiciaire. Notre présence est de fait finalement une sécurité pour tout le monde. Je dis bien tout le monde !

- Caramed : Quelles formations avez-vous suivies ?

Dr L:

-nous sommes deux médecins anesthésistes-réanimateurs et deux sont des « urgentistes » de très haut niveau. Nous avons tous les quatre plus de quinze ans de SAMU derrière nous.

-Je vous épargne le catalogue des autres Spécialités, Capacités et diplômes d’Université dont nous sommes de plus titulaires…

- C aramed : Quelles qualités une telle profession nécessite-telle ?

Dr L :

-la disponibilité
- l’ouverture d’esprit
- l’expérience professionnelle médicale de situations réellement critiques
- la capacité à vivre en collectivité
- un goût prononcé pour le sport (à la fois pour le côté opérationnel et pour l’intégration).
- et surtout savoir rester à sa place !

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