Reportage
de 2014, actuellement il n'y a plus de femmes
"tireur haute précision"
au RAID.
Embusquée
à l'ombre d'un vaste chêne,
Sophie recharge consciencieusement son fusil
d'assaut. A deux pas devant elle, Paul*,
instructeur en chef de la section des tireurs
de haute précision du Raid, distille
ses derniers conseils à la bonne
réalisation de l'exercice.
Dans
cette petite clairière perdue dans
le bois jouxtant les locaux de l'unité
d'élite de la police nationale à
Bièvres (Essonne), les vitres brisées
des bâtiments mis à disposition
témoignent des exercices d'assauts
répétés des hommes
en noir. Et, désormais, des femmes.
Deux. Sophie est l'une d'elles.
Voilà
plus d'une décennie que cette jeune
femme brune de 36 ans a intégré
la prestigieuse unité, à la
suite de ses quatre années passées
au sein de la police aux frontières.
Après plusieurs dizaines de missions
au sein du groupe filature et surveillance
du Raid, Sophie saisit à l'automne
dernier une proposition du directeur : intégrer
la section des tireurs de haute précision.
En
cette matinée de mars, elle poursuit
pas à pas sa formation de tireuse
d'élite, sous l'oeil bienveillant
de Paul, qui ne tarde pas à donner
le feu vert du début de l'entraînement.
Lentement, la jeune femme pénètre,
fusil à l'épaule, dans un
tunnel sombre long d'une centaine de mètres,
et progresse avec une étonnante discrétion
jusqu'à la sortie du corridor, puis
se fige. A une trentaine de mètres
devant elle, une cible à peine perceptible
à l'oeil nu a été dissimulée
dans un fourré par son instructeur.
Puis une détonation : Sophie vient
de faire mouche. Tandis que Paul dresse
le compte rendu de l'exercice, le chef de
l'unité du Raid observe l'évolution
de l'une de ses futures tireuses d'élite.
« Il me semble que c'est un sans-faute
», sourit, satisfait, Jean-Michel
Fauvergue, contrôleur général
de la police nationale arrivé en
avril 2013 à la tête de la
force d'intervention de la police nationale
(FIPN) qui regroupe le Raid et les 10 antennes
régionales. « L'intégration
de femmes dans cette unité est une
évolution naturelle. Pendant des
années au sein du groupe filature
et surveillance du Raid, elles ont fait
montre d'un professionnalisme exemplaire,
parvenant souvent à de meilleurs
résultats que les hommes lors de
filatures délicates. »
Les
années ont-elles fait taire le scepticisme
ressenti dans les rangs quasi exclusivement
masculin du Raid à l'arrivée
de femmes ? « C'est un milieu d'hommes,
il faut faire ses preuves, et sans doute
davantage lorsque l'on est une femme »,
admet Sophie. « J'aime à croire
que, depuis plus de dix ans, mes collègues
connaissent ma manière de travailler,
et que la confiance a pris le pas sur une
certaine défiance. » Face à
l'opportunité de rejoindre le groupe
des tireurs de haute précision, Sophie
avoue ne pas avoir hésité.
« Les armes et le tir m'ont toujours
attirée, explique-t-elle. Alors,
lorsque cette proposition m'a été
faite, j'ai dit oui immédiatement,
tout en sachant que, là encore, je
devrai en faire davantage que si j'étais
un homme. »
Un
membre de l'unité confirme. «
Certains ont assisté à l'arrivée
des femmes avec un mélange de doutes
et, parfois, il faut bien le dire, de sourires.
Je pense qu'Annabelle vous le confirmera.
» Pourtant, l'autre tireuse d'élite
en formation n'est apparemment pas présente.
« Si, elle est là »,
révèle l'instructeur. «
Vous ne la voyez pas, mais elle, oui »,
ajoute-t-il pointant du regard un talus
perché à une dizaine de mètres
au sommet de la clairière.
Dissimulée
dans une combinaison de treillis militaire
qui la confond avec le tapis de feuilles
mortes, on la distingue à peine à
la vue de sa queue de cheval. Allongée
sur le sol, l'oeil vissé à
la lunette de son arme de précision,
Annabelle attend l'ordre d'un tir de commandement.
Sa mission : atteindre, à travers
une fenêtre, une cible de la taille
d'une balle de tennis placée à
une cinquantaine de mètres d'elle.
Son souffle se fait court jusqu'à
ce que la radio crache l'ordre de feu. Là
encore, le défi est relevé.
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Brune
comme Sophie, Annabelle a intégré
le Raid voilà onze ans. « Le
groupe filature et surveillance m'a beaucoup
appris », témoigne cette maman
de deux enfants, qui a oeuvré lors
de la traque de nationalistes corses, mais
aussi lors de celle de Jean-Pierre Treiber,
l'assassin présumé de Géraldine
Giraud, fille du comédien Roland
Giraud, et de son amie Katia Lherbier, fin
2004 dans l'Yonne. Elle suit maintenant
elle aussi la formation pour intégrer
la section des tireurs de haute précision
depuis janvier.
«
Je voulais un nouveau challenge, et je prends
un grand plaisir à suivre cette formation.
Oui, il a fallu convaincre, faire notre
place, et démontrer que l'on pouvait
apporter quelque chose d'autre »,
ajoute la jeune femme. « Le tireur
d'élite n'est pas qu'une gâchette,
c'est aussi et surtout une source d'information
et d'observation qui sécurise la
colonne d'intervention. C'est un poste à
haute responsabilité », ajoute
Jean-Michel Fauvergue. Peut-être la
meilleure façon de faire taire les
sceptiques.