Reportage
du magazine l'Officiel de la sécurité
d'octobre 2000
«
Le chien d’assaut du RAID est un projectile
vivant non létal. Sous contrôle absolu
de son maître, il est capable, sur décision
des autorités, soit de réaliser une
frappe muselée foudroyante qui mettra l’individu
dangereux hors de combat, soit une morsure sur une
partie non vitale du corps, et dont il maintient la
prise jusqu’à l’intervention des
hommes. Dans les situations extrêmes, le chien
d’assaut est le dernier recours avant l’emploi
des armes. Son intervention peut sauver des vies,
y compris celle de la personne à interpeller.
Le
berger malinois a été choisi par les
spécialistes cynophiles du ministère
de l’Intérieur pour des raisons précises,
les missions spécifiques du RAID, parfois inhabituelles
de par leur technicité ou par les lieux d’intervention
les ont amenés à définir des
critères particuliers de sélection des
chiens, adaptés aux besoins propres de cette
unité d’élite. Voici ce que dit
le rapport de synthèse des spécialistes,
véritable cahier des charges définissant
un chien de police aux qualités nécessairement
exceptionnelles :
«
Ces qualités sont : petite taille, poids réduit,
rapidité, puissance, endurance, aptitude au
saut, force de caractère, sociabilité.
Celles-ci nous orientent vers le malinois qui est
nerveux, intelligent, joueur, attaché à
son maître, et d’une grande précocité
ce qui représente un atout pour la phrase de
dressage ». A noter que la police nationale
choisit ses chiens d’abord au Centre National
de Formation des unités Cynophiles de l’école
de police de Cannes-Ecluse, où les maîtres-chiens
gardiens de la paix reçoivent une formation
de 12 semaines. Les chiens y sont validés en
chiens de patrouille ou recherche et on leur attribue
un matricule. Elle peut aussi faire appel aux spécialistes
du 132° Bataillon Cynophile de l’Armée
de Terre à Suippes. Mais dans le cas du RAID,
les chiens destinés à la piste, la patrouille
et la recherche et qui conviennent parfaitement aux
unités cynophiles classiques de la police nationale,
n’ont pas toujours le profil défini par
les responsables du RAID. Le dépistage et la
préselection des chiens étant difficile
et essentielle, le RAID fait appel en complément
de Cannes-Ecluse et de Suippes à des rabatteurs
privés, français ou européens,
capables de leur dénicher la « perle
rare ».
Car
il s’agit bien de cela : le chien d’assaut
du RAID est un animal d’exception, comparable
dans ses qualités physiques et mentales à
celles d’un champion du monde de boxe aux jambes
de sprinter, possédant à la fois les
réflexes, la puissance et la rage de vaincre
tout en étant intelligent, équilibré,
sociable et affectueux avec son entourage…
Réunir
de telles qualités chez un animal était
un pari impossible, que les maîtres-chiens du
RAID ont pourtant gagné, grâce à
leur rigoureuse sélection et leur professionnalisme,
et à force de patience, d’obstination,
mais aussi parce qu’ils sont des passionnés.
La
qualité du mordant
«Le
chien qui partage la vie de l’homme ne sait
pas mordre naturellement, explique Laurent, maître-chien
à l’unité cynophile du RAID. Ses
instincts de prédateur ont disparu puisqu’il
est nourri, il n’a plus à se battre pour
survivre, donc le plus souvent un chien non éduqué
qui vous mord se contente de pincer avec la partie
avant de sa mâchoire. Il peut faire très
mal, pincer ou transpercer la chair avec ses incisives,
mais jamais il n’utilisera spontanément
toute sa mâchoire lors d’une attaque,
il ne se sert de ses dents médianes que pour
broyer un os avant de les manger.
Le
chien du RAID, lui apprend à « rengueuler
» , c’est-à-dire, à saisir
sa proie avec toute sa gueule, le plus profondément
possible, comme le faisaient les loups pour casser
les pattes du gros gibier en pleine course. Car la
puissance maximum de sa mâchoire se situe sur
les arrières molaires (précisément
sur les tuberculeuses) par effet de couple : plus
on est proche de l’axe du bras de levier –
en l’occurrence l’articulation des mâchoires
– plus la pression est forte. Le rôle
de l’éducateur est de faire prendre conscience
au chien de cette puissance. Un chien qui a «
rengueulé » peut facilement maintenir
sa prise, qu’il s’agisse du costume de
l’homme d’attaque pendant son entraînement,
ou du bras d’un forcené à l’occasion
d’un assaut. Si par accident, le chien traverse
un jour le costume de l’homme d’attaque
en profitant d’une déchirure ou d’un
accroc, et mord la chair, il n’oubliera jamais,
et mordra ensuite beaucoup plus fort pour atteindre
ce qu’il y a sous le costume.
Et
je peux vous dire qu’un chien déterminé,
et qui a acquis cette qualité de mordant fait
très mal. Dans notre unité, nous portons
parfois un costume moins épais, afin que le
chien sente la chair et progresse plus vite dans le
mordant. C’est douloureux pour l’homme
d’attaque, mais très efficace pour le
travail. Je profite de votre reportage pour tordre
le cou à une légende : la mâchoire
d’un chien développerait, aux dires de
certains, une tonne ou je ne sais combien de centaines
de kilos au centimètre carré. Je ne
sais pas qui a réalisé cette mesure
impressionnante, mais ce que je sais par contre, pour
l’avoir relevé dans un article scientifique
traitant des cages anti-requins, c’est qu’une
dent de requin casse sous une pression de kg/cm2.
Mais
quel que soit la pression de ses mâchoires,
cela ne change rien à son travail : c’est
la qualité du mordant et la détermination
du chien que nous recherchons et que nous perfectionnons.
S’il a rengueulé la toile d’un
costume d’attaque, et à plus forte raison
le bras ou la jambe d’une personne à
interpeller, rien ne peut le faire lâcher prise,
sauf la mort, ou un ordre de son maître. Cela,
nous l’avons certifié ».
Les
risques du métier
Il
est difficile de faire la différence entre
le courage de l’homme et celui du chien, dans
une unité d’intervention de ce niveau.
L’un comme l’autre, conditionné
physiquement et psychologiquement pour l’assaut
« veulent y aller » quel que soit le danger.
Mais confronté à des risques majeurs
– par exemple la prise d’assaut d’un
site ou un homme armé est retranché
et tire- le commandement du RAID impose de plus en
plus souvent l’intervention du chien d’assaut
« en pointe », pour préserver la
vie de ses hommes. Ils ne nous l’ont pas dit,
mais les policiers du RAID sont si déterminés
que la rapidité, et surtout la foudroyante
efficacité du chien les impressionnent, d’un
point de vue sportif. Ils parlent de leur compagnon
de binôme en ces termes sans équivoque
: « Le chien est plus rapide et plus intelligent
que nous dans certaines situations ».
Les
maîtres-chiens sont par ailleurs affectivement
attachés à leurs Malinois, puisqu’ils
partagent leur vie, quotidiennement et ne s’en
séparent jamais, même en vacances. Ils
ne sont donc pas partisans de faire prendre systématiquement
tous les risques au chien, mais obéissent cependant
aux ordres :
«
L’affectif n’a pas sa place dans notre
unité, dit froidement le numéro 1 du
RAID. Nous mettons en place un dispositif et des moyens,
en prenant le minimum de risques pour la vie des hommes.
Le chien est un moyen, si nous le jugeons efficace
nous le mettons en œuvre. Qu’il existe
des liens entre les hommes et leurs bêtes en
dehors du travail ne concerne pas le commandement.
Si la tendresse est un moyen pour eux de fidéliser
leur animal et de le rendre plus performant, je l’admets.
Je
sais que mes hommes aiment les chiens d’une
manière générale, c’est
leur passion. Mais ici nous sommes au RAID, le maître-chien
et son animal sont des guerriers, que nous entraînons
pour le combat et faisons monter en ligne si nécessaire.
Il n’y a pas de place pour les états
d’âme ».
Laurent,
maître-chien, nous parle du courage de Seko,
le chien d’assaut qui sera bientôt en
binôme sur le terrain avec lui : « Le
succès de son emploi en tant qu’auxiliaire
de l’homme dépend avant tout de l’homme.
Les séances de tir feront partie intégrante
de son entraînement. Le chien doit être
en mesure de différencier les tirs amis des
tirs ennemis. Il devra aussi s’accoutumer aux
différentes détonations (grenades, gaz,
etc.) Il ne devra pas être un obstacle ni un
danger pour son entourage (le maître et ses
collègues) ».
Principes
de bases
Après
un premier filtrage effectué par les différents
rabatteurs (éducateurs privés, CNFC,
132° BCAT), puis sous le contrôle du RAID
assistés d’un moniteur national de Cannes-Ecluse,
le chien est recruté, puis soumis à
une phase de familiarisation avec son nouveau maître
:
«
Avant qu’on ne l’amène à
Bièvres, Marcus a été formé
par l’éducateur privé Jean Hucbourg,
raconte Marco. Jean Hucbourg est un spécialiste
reconnu dans sa profession. Ensemble nous lui avons
appris à mordre au plus près et au plus
vite, soit en haut, soit en bas, en général,
mais là nous sortons de notre domaine …
».
Patience,
calme, détermination
Ce
sont les qualités fondamentales des hommes
du RAID, mais spécialement celles des maîtres-chiens.
Après l’éducation de base, il
faut une année pour construire un chien d’assaut,
avant qu’il ne soit opérationnel. Ensuite,
chaque jour, le chien est entraîné comme
un athlète de haut niveau, ses performances
sont améliorées, il court chaque matin
avec les hommes, tous les cas de figure correspondants
à ses futures missions sont répétés,
découpés en séquences, exécutés
dans les conditions les plus proches de la réalité.
Le chien d’assaut apprend à reconnaître
un tir ami d’un tir ennemi, il charge au milieu
des explosifs de grenades offensives et de tous les
types de gaz, il effectue avec son maître des
descentes en rappel depuis le toit d’un immeuble
ou accroché à un hélicoptère,
il saute en parachute fixé dans un harnais
sous le ventre de son maître. Le binôme
homme-chien est inséparable, c’est le
maître qui porte à son chien sa gamelle
du soir. Même cette action elle aussi est codifiée
: le maître pénètre dans le chenil
où le chien est seul – les chiens sont
toujours séparés- il pose la gamelle
au sol. Le chien doit rester à distance, assis.
Il ne touche à la gamelle que sur ordre de
son maître.
«
Il sait que la nourriture vient de son maître,
et de lui seul, dit Laurent. C’est sa récompense,
comme le jeu et le mordant sont une récompense.
Le chien agit par attachement à son maître.
S’il ne vous aime pas, il n’est pas gérable.
A propos du mordant, je précise ceci : un des
principaux modes d’expression pour un chien,
c’est sa gueule. Mordre est d’abord pour
lui un défoulement, un jeu, une récompense.
Au cours des exercices au RAID, nous faisons ressurgir
les instincts grégaires du Malinois, nous lui
apprenons à mordre comme un prédateur.
Au moment de l’assaut, c’est un loup qui
attaque, mais un loup qui obéit. Toute la difficulté
est de maintenir cet équilibre entre sa soumission
au maître et les pulsions de prédateur
que nous avons réveillés. Un chien trop
docile peut présenter des failles lors d’un
assaut, mais s’il n’est pas assez soumis
à son maître il peut devenir incontrôlable.
Or nous devons impérativement le contrôler,
dans chacune de ses actions. C’est notre mission
de maîtres-chiens du RAID, avoir un chien toujours
opérationnel mais qui reste obéissant
et sociable.
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Deux
commissaires à la tête de 100 fonctionnaires
spécialisés
Pour
le commissaire numéro 1 du RAID, nommé
à la tête de l’unité il
y a un an, après vingt ans de carrière
dans la police judiciaire, le chien n’est ni
plus ni moins qu’une composante de son unité,
un élément du dispositif. Lors d’une
opération, il ne doit pas être systématiquement
en pointe.
Le
patron du RAID n’est pas un spécialiste
cynophile, il engage ses maîtres-chiens s’il
juge qu’ils seront efficaces pour résoudre
une situation, comme il fait appel aux artificiers,
tireurs d’élite, spécialistes
de la varappe ou aux psychologues chargés de
dialoguer avec les forcenés.
Très
réservé sur la nature et le nombre des
missions confiées à ses quatre groupes
d’intervention – le RAID est un service
classé Secret Défense – il est
cependant d’accord pour que la presse se fasse
écho de la redoutable efficacité des
moyens dont il dispose, dans le but de dissuasion.
Pour
le numéro 1 du RAID, le chien, dans certaines
situations, est plus convaincant qu’une arme
à feu :
«
Les délinquants ou les forcenés sont
souvent prêts à faire face à une
arme à feu, car ils n’ont pas conscience
de ce qu’une balle peut provoquer, pour n’en
avoir généralement jamais reçu.
Une morsure de chien, c’est une autre histoire.
Presque tout le monde a un jour ou l’autre été
mordu par un chien. Je me suis fait attraper le mollet
récemment par un roquet en faisant du footing,
je vous garantis que ça fait mal et qu’on
a la trouille. Une morsure même légère
provoque un choc psychologique, elle touche notre
inconscient. Il arrive que l’on vise un forcené
avec un fusil sans lui faire peur, alors si on le
menace de lâcher sur lui un de nos Malinois,
il dépose les armes. Nous n’en demandons
pas plus. Et si nous sommes obligés de réellement
engager le chien, l’individu s’en tire
avec quelques coups de muselière de frappe
ou une bonne morsure, et personne n’est tué.
Car c’est aussi cela notre mission de patrons
du RAID, à mon adjoint et à moi-même
: faire un sorte de résoudre une situation
de crise qu’un autre service ne peut pas résoudre,
avec le moins de casse possible. Notre unité
a eu trois morts et quatorze blessés par balles
en quinze ans, c’est trop, mais dans les mêmes
circonstances, des services de police non spécialisés
auraient eu des pertes très supérieures.
L’utilisation du chien d’assaut peut économiser
des vies, nous l’avons vérifié.
Lors d’un engagement, le chien prend tous les
risques, j’en ai conscience. C’est parfois
lui qui précède l’homme, surtout
dans le cas d’urgence où nous n’avons
que très peu de temps pour prendre position
et engager le dialogue avec le forcené, ou
sur un site difficile. Les choses vont très
vite parfois, mais le chien aussi va très vite
et crée la surprise.
Je réponds à votre question sur l’emploi
du RAID : cette force nationale est-elle réellement
indispensable, alors qu’elle n’intervient
que dans des situations extrêmes, et qu’il
existe d’autres services de police spécialisés
comme les GIPN régionaux (antennes RAID )?
Je
dirai que le ministère de l’Intérieur
a trouvé des motifs de créer cette unité.
Même si les interventions spectaculaires et
médiatisées sont rares, les missions
de prévention antiterroriste sont nombreuses,
notamment dans le cadre des déplacements de
personnalités et de grands événements.
Par ailleurs la police nationale doit être capable
de couvrir toutes les situations. Je rappelle que
nous ne sommes pas un service de lutte contre la criminalité,
mais spécifiquement et uniquement une unité
de gestion des situations de crise. Un chien d’assaut
n’est peut-être engagé que deux
ou trois fois dans l’année, mais il est
entraîné tous les jours, et il est prêt,
comme tous les policiers de notre unité. Si
un parachutiste du RAID avec un chien accroché
sous le ventre ne sert que tous les cinquante ans,
il a sa raison d’exister. J’ajoute que
le RAID n’est pas seulement une unité
de recherche, d’intervention et de dissuasion,
elle a aussi une mission d’assitance comme l’indiquent
ses initiales. Nous sommes également un laboratoire
de veille technologique dans lequel tous les moyens
de maîtrise des individus dangereux sont étudiés,
testés, sélectionnés et enseignés
aux autres services de l’Etat. La France exporte
aussi ses connaissances à l’étranger
où nous effectuons en moyenne vingt missions
de formation par an. »